collage d'une Pensée

Mille et un jours...

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Bourges - chapitre 9/12

Les tribulations d'un cafard durant la première guerre mondiale.

Nous retrouverons dans les pages qui suivent des extraits de la large correspondance du jeune Henri avec ses parents ou sa soeur Suzanne ; un récit truculent restitué "dans le jus" au plus près de sa langue d'origine, coquilles incluses.

Bourges

J’ai retrouvé en gare de Seurre mon vieux camarade Brunet qui a bien ri du tour joué au chef de gare ; assistant en spectateur ; il m’a affirmé que cet imbécile m’a courru après les trousses jusque de l’autre côté des barrières ; tu peux croire que moi je n’ai pas pris le temps de regarder derrière moi. Rien de nouveau pour le moment je tacherai de retourner au pays dimanche.

Henri Labelle, Nolay, le 5 janvier 1918

J’ai mis exactement 23 jours pour me rendre à destination. Si seulement dans le bateau ou en chemin de fer l’on avait son aise, cela irait encore mais l’on est serré comme des sardines, d’ailleurs tu doit en savoir quelque chôse. Comme ravitaillement c’est du singe sur singe. Heureusement que nous avons eu la chance de se ravitaillé tout le long de la route en quoi-que-soit. Oui je suis très heureux de retrouver les miens tous en bonne santé.

"Lettre de son ami Lucien de retour d'Orient" Montmorot, le 10 janvier 1918

En effet je suis dans ma 25e année et crois bien que je n’en suis pas plus fier pour cela ; les années passent et nous sommes toujours dans l’étau qui depuis bientôt 4 ans nous enserre. Quand donc viendra la libération. En attendant je t’envoie le spécimen de l’équipe de Bourges c’est toute la section avec ses deux pièces[...]

Bourges - Section de Mitrailleurs
Henri, debout à droite
"lettre à Suzanne" Henri Labelle, Bourges, le 16 Mars 1918 27e d’Inft, Centre de Mitrailleur

Vous avez dû apprendre par les journeaux que l’offensive qui s’est déclenchée contre nous ; loin de tourner a notre avantage ; nous met dans une situation plutôt critique. Les anglais ont reculés d’une vingtaine de kilomètres quoique les journeaux n’en soufflent mot et des pièces à longue portée bombardent Paris avec des obus de 240 mm ; chose qui au premier abord paraît iréalisable et qui malheureusement est pourtant trop vrai. Hier soir il est rentré à la section un permissionnaire de 24H venant de paris qui nous a raconté que dans la journée de samedi ; les avions Boches ; sont venus survoler la ville et lancer des bombes. Et en même temps repérer le tir des pièces. Ils sont restés depuis les neuf heures du matin jusqu’à 2 heures de l’après-midi sans que nos aviateurs les prennent en chasse. Vous pensez qu’ils ont eu le temps de faire leur petit travail. Aussi dans la journée d’hier il est tombé 63 obus rien que dans le même quartier. Inutile de demander s’il y a eu des victimes. Dans tout cela il y a du louche ; nous sommes trahis de tous côtés. En plus de cela ; j’hésite à croire qu’une pièce de canon porte à 120 km (distance de Paris aux 1eres lignes. J’aurais préféré que les journeaux nous disent que nous avions reculer de 80 km et non pas nous faire croire qu’une pièce d’artillerie porte a 120 km. Sûrement l’on nous cache quelque chose. Quant à moi je m’estime heureux d’être à Bourges plutôt que du côté de Péronne ou de St Quentin car pour l’instant il ne doit pas y faire bon. Espérons que la bataille tournera à notre avantage  ; sans quoi la paix pourrait bien être plus près que l’on croit.

Henri Labelle, Bourges, le 25 Mars 1918

Pour la permission ; j’aurais pu y aller mais comme je vous l’ai déjà dit ; je ne tenais pas du tout à dépenser 5 ou 6 F et a passer 2 nuits en chemin de fer sans dormir. Peut être j’aurais bien fait d’y aller ; car a présent toutes les permissions sont supprimées en raison des transports de troupes et de munitions qui se font depuis l’offensive [...] Chenu est parti à l’instruction de la classe 19 Terrier c’est sauvé chez lui en bicyclette ; j’aurais bien voulu en faire autant, mais il m’est bien impossible de faire la route à pied.

Henri Labelle, Bourges, le 3 Avril 1918

Quand à moi je suis toujours ici ; si j’avais une bicyclette je pourrais passer mon dimanche chez nous mais ce n’est pas chose commode. Si je n’ai pas été bouclé mercredi dernier ; c’est grâce aux copains qui m’ont porté comme étant de corvée sans quoi j’attrapais 8 jours de prison.

Henri Labelle, Nolay, le 20 Avril 1918

Réquisitions

Je profite d’un moment de liberté pour vous donner quelques détails sur mon nouveau régiment. Tout d’abord je vous dirai que sur quatre copains que nous étions partis pas un ne se trouve ensembles ; nous avons tous été répartis dans chacune Cie : si bien que je suis tout seul parmi les méridionnaux. Le plus embêtant pour moi est que je ne comprend pas un mot de leur charabia ; j’en suis donc réduit à garder ma salive pour une meilleure occasion. Quant à Terrier il est embusqué dans une gare comme vieille classe ; quel veinard. Moi je ne pense pas rester bien longtemps à la Cie ; car je vais faire mon possible pour rentrer dans une Cie de Mitrailleur. D’ailleurs la société des Marius et des jeunes gars de la classe 18 je me plaît pas du tout. Rien ne vaut encore nos régiments de l’est. Enfin pour le moment il ne me reste plus qu’à attendre la permission du mois de septembre.

Henri Labelle, le 22 Mai 1918 59e d’Inft, 10e Cie, SP 146

Sur votre prochaine lettre, dites-moi si vos travaux s’avancent, car la période de beau temps ; qui s’est faite ces jours derniers vous a permis de rattraper votre retard. Comme je vous l’ai déjà dit ; j’ai été échoué dans un pauvre régiment : pas une connaissance, rien, avec qui je puisse tenir une conversation  ; c’est un baragouin que le plus grand savant du monde ne saurait déchiffrer. [...]
Quand à moi ; la seule chose qu’il me reste a faire ; c’est d’apprendre cette nouvelle langue ; et quand je serai suffisamment calé pour faire un Marius je pourrai entreprendre une conversation avec les gens qui égalent en mensonges Tartarin de Tarascon.

Henri Labelle, Dimanche 26 Mai 1918

Pour moi tout va bien ; je suis en bonne santé ; la nourriture est assez abondante et avec son argent l’on trouve ce que l’on veut. Ici ce n’est plus comme en Orient il y a des coopératives installées auprès des lignes, si bien que nous pouvons nous approvisionner en quoi que ce soit. Sur votre prochaine lettre dites-moi le résultat de la réquisition des chevaux. C’est malheureux au bout de 4 ans de guerre de se voir ronger surtout les points comme ça se passe en ce moment. S’il en est ainsi ; il n’y a plus qu’à se croiser les bras ; car non content de ramasser les récoltes ; ils vous enlèvent le moyen d’en produire. Je crois réellement qu’ils ne savent plus ou donner la tête ou alors qu’ils cherchent notre perte. Quand à nous rien nous manque ; tous les matins, sardines, patés ou confiture comme casse-croûte souvent 3 quart de vin, frites tous les deux ou trois jours et du beau pain blanc à rendre jaloux tous les civils de la terre. Vu la période de restrictions que nous subissons en ce moment ça vous donne envie de faire la guerre. Mais nous donneront ils satisfaction jusqu’au bout : ce n’est pas surs.

Henri Labelle, le 30 Mai 1918

J’ai été bien heureux d’apprendre sur votre dernière lettre que la réquisition n’avait pas pris votre cheval. S’il en avait été autrement je ne vous aurais pas vu dans de beaux draps pour faire votre travail. Enfin ils ont compris qu’en retirant l’instrument des mains du travailleur ils obtiendraient un mauvais résultat  ; c’est pourquoi ils ont si peu pris de chevaux.

Henri Labelle, le 4 Juin 1918

Je profite que nous sommes descendus au repos pour une huitaine de jours afin de vous écrire une plus longue lettre. Tout d’abord je vous dirai que nous sommes cantonnés dans un petit village appelé Boncourt : quoique étant à 7 km des lignes ; l’on n’y trouve tout ce que l’on veut. Et après 16 jours de ligne comme nous venons de faire ; on est heureux de pouvoir se dégourdir les jambes et se retaper la cloche un peu à l’arrière. Vous pouvez croire que les chemineaux de Sarrail ne peuvent pas en faire autant [...]
J’ai appris aussi par les journeaux que les boches avaient fait une formidable poussé sur Soissons ; ils en étaient si heureux ; qu’ils en hurlaient de joie dans leurs tranchées ; en plus de cela comme gracieuseté ; ils nous envoyaient tous les jours le communiqué Boche dans des petits ballonnets remplis de journaux qui par un ingénieux système de déclenchement laissaient tomber toute la paperasse dans nos lignes. Vous avouerez que ces Messieurs sont vraiment trop complaisant ; ils nous évitent de dépenser deux sous et rendent un grand service a ceux qui ont la ch... Enfin il n’y a plus qu’à prendre patience  ; dans deux ans tout sera terminé ; car il ne faut pas oublier qu’il faut les avoir : Clemenceau l’a encore dit ces jours derniers.

Henri Labelle, le 7 Juin 1918

Je crois que sous peu je vais entrer à la Cie de Mitrailleuse ; j’ai fait une demande et elle a réussit à mon grand regret ; car aujourd’hui ils ont demandés des volontaires pour aller dans les tanks ; si j’avais sut ; j’aurais demandé pour aller dans ces nouveaux engins de guerre qui m’auraient beaucoup plût. Pour le moment il n’y a qu’a laisser suivre ; comme d’ailleurs j’ai toujours fait c’est encore le meilleure [...]
Par la période de beau temps qu’il fait vous devez certainement avancer dans vos travaux de fenaison mais je crois que un peu de pluie ne ferait pas de mal non plus pour les bettes raves et les pommes de terre. Se ne serait que pour moi je n’en demanderait pas ; car la pluie c’est l’ennemi du poilu et comme la semaine dernière je suis resté 8 jours sans chemises s’il avait plut ; je n’aurais pas été bien heureux. Enfin avec tous ces petits embêtements je me trouve encore heureux vis-à-vis ce que j’ai été et la guerre ne me pèse pas moitié comme en Orient

Henri Labelle, le 11 Juin 1918

Je suis à la Cie de Mitrailleuse d’aujourd’hui ; vous pouvez croire que je suis heureux ; car dans les Cie je ne m’y plaisait pas du tout. Tous les jours il fallait faire des patrouilles et poser des fils de fer et même aller jusqu’au réseaux Boche l’on s’enrevenait en sang et tout déchiré. Avec tous ces lascars de la classe 18 qui a la 1ere grenade se sauvait comme des lapins ; ce n’était pas du tout le filon. Enfin maintenant je suis exempt de toutes ces choses là ; ce n’est déjà pas rien. Vous m’aviez demandé sur votre dernière lettre si j’étais toujours dans le même département ; oui je suis toujours dans la Meuse ; au bois d’a... ou le 27e a séjourné assez longtemps. Le secteur n’est pas trop mauvais ; il y fait meilleur que du côté de Montdidier l’essentiel c’est d’y rester assez longtemps.

Henri Labelle, le 14 Juin 1918

Suzanne m’écris qu’elle crois comprendre que je me plait mieux en France qu’en Orient ; en effet c’est tout une autre vie : a comparer les souffrances que nous avons supporter labas ce serait presque un plaisir de faire la guerre. Comme bien entendu je ne parles pas de ceux qui se trouvent dans la Somme ou dans l’Oise. Mais dans les secteurs ou il n’y a pas d’attaques c’est vraiment le filon surtout pour moi qui est à présent dans une Cie de Mitrailleuse. À ceux qui vous dirons qu’en Orient c’est la bonne vie ; répondez leur qu’ils aillent y faire un stage de 2 ans ; mais je suis convaincu qu’avant que leurs temps soit échu ; ils seront revenus de leurs erreurs et qu’en rentrant ils seront tout heureux de crier encore  : Vive la France ; il n’y a encore que chez elle que l’on est bien

Henri Labelle, le 18 Juin 1918

Je vois que sur ta lettre ; tu ne m’apprends pas de bonnes nouvelles ; toujours des morts au pays. Quand donc verrons-nous la fin de cette boucherie ; et dire qu’il y a encore des gens qui veulent la guerre  ; « ah les bandits ».

Henri Labelle, le 6 Juillet 1918