collage d'une Pensée

Mille et un jours...

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Châteaurenault - chapitre 8/12

Les tribulations d'un cafard durant la première guerre mondiale.

Nous retrouverons dans les pages qui suivent des extraits de la large correspondance du jeune Henri avec ses parents ou sa soeur Suzanne ; un récit truculent restitué "dans le jus" au plus près de sa langue d'origine, coquilles incluses.

Les Bulgares

Maintenant si vous n’avez pas eu mes lettres c’est qu’elles ont été perdues ou sabrées par la censure ; ce qui d’ailleurs ne m’étonnerais pas ; ayant l’habitude d’exprimer mes idées ouvertement ; il peut se faire que l’une d’elles aie attiré leur attention et sans l’ombre d’une hésitation il l’ont déposée au panier. Rien de nouveau sur notre front ; le secteur a repris sa tranquillité ; le printemps se fait sentir ; la santé est bonne avec la paix nous serions les hommes les plus heureux du monde malheureusement ce n’est pas avec des jumelles que l’on peut encore l’apercevoir.

Henri Labelle, le 11 Avril 1917

Vous m’annoncez aussi que la chambre des députés à voté un projet pour que les troupes d’Orient qui ont 18 mois de front soit rapatriées en France ; je l’ai déjà vu sur un journal mais la loi sera-t-elle appliquée  ; ce n’est pas sur ; moi depuis le temps que l’on nous bourre le crâne je ne crois a plus rien du tout surtout pour les permissions ou les choses de ce genre. Je vois également que vous avez appris par les journeaux notre fameuse offensive du 16 et 18 Mars ; ainsi que les envois de liquide enflamés et de gaz asphyxiants par les Bulgares mais rassurez vous ce sont les Italiens qui ont écopés ainsi que les civils de Monastir environ 200 sont morts d’après ce que j’ai entendu dire. À présent il n’y a pour dire plus personne dans la ville ce n’était pas tenable tous les jours ils bombardaient avec des obus asphyxiants ou incendiaires ; c’était pour se venger de leur défaite.

Henri Labelle, le 18 Avril 1917 260e d’Inft, 7e CMR, SP 508

Au reçu de ta lettre du 8 Avril ; je vois que la liste des morts s’allonge toujours ; notre petit pays paye amplement sa dette et combien tomberons encore ; ce n’est pas fini car il n’y a pas à dire ils veulent notre peau à tout prix. Crois-tu que l’on n’est pas dégoûté d’être au monde d’apprendre tous ces massacres encore un an comme ça et ce sera l’anéantissement de la classe ouvrière quand aux riches aux pourri de pognon tu n’as pas besoin d’avoir peur ; ils sont tous embusqués et la guerre terminée ce sont eux qui crirons encore : C’est grâce à nous si on les a eu. Quand au fameux renvoi des militaires ayant 18 et 21 mois d’Orient ; c’est une belle blague ; ils diront comme par le passé la nécessité du service ne nous permet pas d’en envoyer à présent et dans 18 mois nous serons encore là si nous ne sommes pas crevés avant.

Henri Labelle, Monastir, le 26-4-1917

Je n’ai pas eu de vos nouvelles depuis le 8 Avril ; cependant vous devez m’écrire plus souvent que ça ; il faut donc croire que les correspondances marchent rudement mal. Vous vous avez dû être un certain temps aussi sans nouvelles parce que il y a un courrier qu’à été coulé entre le 1er et le 6 avril en somme c’est la purée partout. Pour comble de bonheur nous sommes toujours aux tranchées et pour longtemps sûrement pas moins de 1 mois ; c’est bonheur ils veulent faire crever les homme dans la pourriture. Maintenant que voici les grandes chaleurs s’ils nous laissent dans cet état nous allons être rongés par la vermine et les maladies épidémiques. Cette vie là commence a me dégoûter et je ne vois guère le moyen de me sortir du pétrin dans lequel je me suis enfoncé. D’après quelques articles de journeaux que j’ai put voir ; les Allemands disent qu’ils espèrent pouvoir continuer la guerre jusqu’à la fin de l’année 1918 ; s’il en est ainsi nous ne sommes pas à la veille de rentrer. À mon idée ils seront fatigués avant parce que chez eux comme chez nous la guerre doit leur peser sur les épaules.

Henri Labelle, le 3 – 5 - 1917

[...] les Bulgares restent terrés et nous aussi mais en revanche nous sommes très mal nourris et il n’est pas rare de ne dormir que 4 heures par jour le reste de la journée se passe à creuser des abris et à aprofondir la tranchée pour ne pas être en vue de l’ennemi ; je vous assure que ce n’est pas chose facile surtout quand l’on tombe sur de la pierre. Pour le moment nous avons le beau temps a souhaiter que cela dure ; les montagnes verdissent on se sent revivre et dire qu’il y a deux ans à pareille époque j’étais bien près d’aller vous voir ; malheureusement cette année je ne suis pas dans le même cas il s’en faut de beaucoup cependant 21 jours ce n’est pas à dédaigner. Quant au 18 mois d’Orient ils sont tombés à l’eau ; on en parle plus ; d’ailleurs ça n’en vaut que mieux comme cela on est quitte de se casser la tête pour savoir quand partira-t-on ? Et tout le monde est d’accord. Vivement la fin et que l’on n’en parle plus. Quand vous m’enverrez un colis mettez-y de l’onguent gris c’est excellent pour les totos.

Henri Labelle, le 12 – 5 - 1917

En réponse à ta dernière lettre du 25 avril je te dirai que je ne reçois pas souvent non plus de vos nouvelles  ; je n’en suis pas étonné car paraît-il il n’y a plus qu’un courrier tous les dix jours : le risque du torpillage étant trop grand ces paquebots seront escortés par des torpilleurs. Tu vois que dans ces sales pays c’est la misère tout du long et sur tous les points.
Enfin un jour viendra bien ou l’on nous déracinera du trou dans lequel nous sommes enfoncés et tu peux croire que je ne le regretterai pas ; j’aime mieux me battre en France au risque de laisser ma peau que de crever en Orient par maladies. Aujourd’hui c’est notre 67e jour de tranchées et l’on ne parle toujours pas de relève ; c’est dégoûtant.

Henri Labelle, le 21 mai 1917

[...] quand aux permissions dont vous me parlez n’y comptez pas ; ça ne peut pas se faire ; les 10 permissionnaires qui devaient partir après l’attaque sont encore la ; c’était du chiqué ; ils ont fait cela pour remonter le moral qui ma fois était bien bas. Ces jours-ci ils ont refait un nouvel état et il n’en part que deux qui d’ailleurs sont encore ici. Pour cela il faut avoir un cas spécial : « ses parents morts un frère tué ; en plus de cela il faut encore avoir la croix de guerre ; moi comme je n’ai ni l’un ni l’autre et que je ne tiens pas à vous voir morts je suis condamné à rester jusqu’à la St Troulala mais croyez bien que je n’en suis pas fâché parce que des cas comme cela je peux m’en passer.

Henri Labelle, le 29 mai 1917

En tout cas vous aurez peut-être une visite qui vous donnera de mes nouvelles : celle de mon brigadier : ancien professeur en Chine il a été rappelé comme interprète il y a quelques jours auprès d’un groupe de travailleurs chinois : quelle joie pour lui de retourner en France auprès de sa famille ; aussi il m’a promis de faire tout son possible pour aller chez nous vous donner de mes nouvelles et comme c’est un homme de confiance je ne désespère pas. Pour nous ce n’était pas un gradé mais un père de famille aussi son absence fait grand défaut à tout ceux qui comme moi le connaissait depuis son arrivée en Orient. Tout ce que je puis vous dire c’est que si vous avez sa visite traitez le non pas en ami mais en frère.

Henri Labelle, le 5 juin 1917

Avants-postes

Dans 2 jours il y aura 3 mois que nous sommes aux tranchées et toujours pas de relève ; néanmoins je crois que ça ne tardera pas car il est venu 1 division de vénézélistes derrière nous ; tous les soirs nous en prenons chacun 5 ou 6 et nous les faisons travailler aux boyaux ou à faire des tranchées ; ces cochons la sont rosses comme tout ils ne veulent rien faire ; on voit qu’ils n’ont encore jamais fait la guerre mais quand ils auront reçu des marmites ils creuseront bien leurs trous. Espérons que la relève ne tardera pas et que nous irons passer quelques temps à l’arrière ; d’ailleurs nous ne l’aurons pas volé. D’après vos lettres je vois que vous avez bon espoir pour cette année, mais moi je ne suis pas de votre avis au contraire je suis convaincu que l’an prochain nous serons encore au même point ; ces coquins de Russes nous ont joué un vilain tour qui pourrais nous faire arriver bien du mal ; ce n’est pas chic de leur part.

Henri Labelle, le 19 juin 1917
carte-lettre des Poilus
carte-lettre des Poilus

L’autre jour pour la première fois depuis 20 mois ; j’ai été malade ; paludisme et dysenterie ; je suis resté 4 jours au poste de secours et de nouveau depuis hier soir je suis remonté à ma section. Donc pas d’espoir de retourner en France encore cette fois-ci ; ce n’est pas de chance. Et dire qu’il y en a qui sont évacué pour presque rien ; moi ce n’est pas mon cas. Je pense que chez nous la moisson s’approche ; malheureusement ce n’est pas moi qui vous aiderez encore cette année ; peut-être même pas l’année prochaine car la guerre ne sera pas finie. Nous nous sommes toujours aux tranchées depuis le 15 Mars ; dans 13 jours il y aura 4 mois ; croyez-vous que ce n’est pas honteux ; jamais l’on a vu cela nul part ; si c’était en France il y a longtemps que les soldats se seraient révoltés mais ici il n’y a rien à dire nous sommes bien pris. Quant à la relève des 18 mois tout est tombé à l’eau ; personne n’en parle plus ; d’ailleurs ils ont bien raison parce que ça ne peut pas se faire. Le tort qu’il ont eut c’est de la voter. Enfin il ne nous reste plus qu’à remettre la traversée pour l’année prochaine mais d’ici là il y aura encore des bâtons dans les roues si bien que c’est a désespérer complètement. Maintenant afin que le soldat ne ronchonne on lui alloue l’indemnité de tranchée c’est-à-dire 20 sous par jour ; mais croyez-vous que c’est de l’argent qu’il faut à des êtres qui comme nous depuis bientôt 4 mois se terrent comme des fauves ; non c’est l’air libre et la vie de l’arrière car en tranchée l’on devient totalement abruti. Mais malheureusement la relève est comme la paix ; elle est loin.

Henri Labelle, le 2 juillet 1917

Nous sommes toujours aux tranchées dans 3 jours cela nous fera 4 mois avants-postes. Ces jours derniers les hommes ont fait du pétard à ce sujet hier soir il est parti tout de même 9 permissionnaires à la compagnie  ; tous des types qui avaient 35 mois de front et qui n’avaient jamais revu leurs femmes et leurs enfants depuis la mobilisation ; c’est honteux de la part de ce qui nous gouvernent.

Henri Labelle, le 10 juillet 1917

ce soir comme distraction au lieu d’aller chez Simard entendre la clarinette ou le piston ; je me contenterai d’écouter la grosse trombone à coulisse des Bulgares qui sûrement fera entendre ses airs connus ; airs qu’ils fait meilleur écouter de loin que de près. Espérons que le 14 Juillet 1918 nous le passerons dans de meilleures conditions à moins que nous recommencions une 4e année de guerre ce qui ne m’étonnerais pas du tout vu les choses qui se passent en ce moment : jusqu’à présent rien ne fait prévoir une fin prochaine.

Henri Labelle, le 14 juillet 1917

Cette fois nous sommes relevés des tranchées pour aller a l’arrière passer quelques mois, chose qui nous est bien due car depuis longtemps nous ne connaissons plus ce que c’est que le repos. Je bat le record des tranchées avec 4 mois et 10 jours, ça ne se vois pas tous les jours ; ça ne s’est même jamais vu. Enfin a présent nous sommes hors de portée de canon ; nous pouvons tenir ; pourvu que ça dure.

Henri Labelle, le 1er août 1917

Arrivé en bon port a la caserne. J’ai trouvé Hondailler ainsi que des anciens camarades de voyage tous ont rentrés deux jours avant moi. Je pense tenir ça n’a qu’à continuer

Henri Labelle, Dijon, 20 Sept 1917 27e d’Inft, 28e Cie, Caserne Vaillant