collage d'une Pensée

Mille et un jours...

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Au front - chapitre 10/12

Les tribulations d'un cafard durant la première guerre mondiale.

Nous retrouverons dans les pages qui suivent des extraits de la large correspondance du jeune Henri avec ses parents ou sa soeur Suzanne ; un récit truculent restitué "dans le jus" au plus près de sa langue d'origine, coquilles incluses.

Au front

Je vous dirai que je n’ai besoin de rien du tout ; ce n’est plus l’Orient pays de malheur ou nous ne pouvions rien trouver, ici avec de l’argent nous trouvons tout ce qu’il nous faut. Il y a des coopératives à proximité des lignes aussi bien achalandées que n’importe quelle épicerie de la campagne : c’est épatant. Encore 4 ans de guerre et nous aurons bistros cinémas et théâtres en 1ere ligne. Dites donc après cela, que les peuples ne sont pas civilisés. Vous croyez peut-être que je pousse la chose un peu loin en disant qu’il y a des cinémas en 1ere ligne ; en effet ils n’y sont pas : mais c’est tout de suite après ; exemple celui de Boncourt qui se trouve à 5 km des tranchées dans lequel viennent chanter des danseuses de Paris afin d’amuser les poilus la veille de remonter au tranchées. À mon idée c’est honteux on ne devrait pas tolérer des choses pareilles. Il n’est pas admissible que pendant que la meilleure jeunesse de France se fait massacrer pour arrêter l’invasion Boche ; il y a des putins de l’intérieur qui viennent prendre nos champs de batailles comme salle de récréation. Moi pour mon compte personnel je n’y ai jamais mis les pieds car je m’en voudrais d’aller applaudir des morues qui une fois la représentation terminée s’en vont en automobile avec quelques gros embusqués de l’intérieur boire une coupe champagne à la santé du pauvre poilu qui s’en va à la boucherie. Et dire qu’il y a des gens assez simple pour triller « bis » à des poupées pareilles.

Henri Labelle, le 11 juillet 1918

Par ses belles journées d’été ; que je regrette de n’être pas chez nous pour pouvoir vous donner un coup de main ; car je suis sûr que le travail ne manque pas à l’heure qu’il est. Mais non l’on aime mieux nous laisser pourrir dans une tranchée ou moisir dans un abri ayant pour compagnons de nuit les rats qui sans façon s’installent dans nos musettes se roulent dans nos assiettes mangent notre pain et poussent la plaisanterie jusqu’à nous courir sur le nez pendant notre sommeil ; c’est dégoutant. Pour moi faire la guerre en hiver passe encore mais quand je sent le foin coupé et la moisson prête à récolter ; je regrette la maison. Que faire : je n’ai plus qu’à attendre la prochaine permission qui ne viendra pas avant 1919 car elle sont de nouveau supprimées. Décidément pour les permissions du front ; je ne suis pas veinard.

Henri Labelle, le 16 juillet 1918

Enfin moi avec toute ma déveine j’ai encore bien eu de la chance car le 59e ce n’est pas un régiment qui barde beaucoup et nous avons beaucoup plus de liberté que dans bien des régiments. En plus de cela nous sommes très bien nourris et nous avons du vin remboursable à volonté ; c’est à peu près la seule chose que nous achetons ; pour le reste nous n’avons besoin de rien du tout. Vous avez dû voir sur les journeaux comment les Bôches ont été reçu dans leur offensive à la noix de coco ; Quelle gifle ! Il ne s’attendaient pas à celle-là c’est presque une défaite pour eux. Guillaume a dû l’avoir mauvaise ; ce sont ses troupes qui attaquent et c’est les nôtres qui avancent en lui raflant une vingtaine de mille prisonniers et plus de 400 canons et des milliers de Mlleuses. Enfin je vois qu’avec le temps nous en viendront a bout. Suivant les journeaux ; le printemps prochain ; les Américains auront des millions d’hommes à notre disposition  ; alors dans 2 ou 3 printemps nous serons en état d’écraser toute cette vermine. Patientons.

Henri Labelle, le 22 juillet 1918
Macédoine - carte postale, 1917
Macédoine - carte postale, 1917
Collection privée

Je suis toujours dans mon vieux secteur tranquille ; la vie n’y est pas trop dure surtout si on la compare à celle que mène les copains qui sont du côté de la Marne. A présent la paye est bonne ; notre indemnité de combat est portée à 3F ; répartie ainsi : 2F sur le pédicule et 1F en argent ; ça vaut mieux que les cinq centimes du début. Comme nous passons la majeure partie de notre temps en ligne l’argent ne nous fait pas défaut et d’après les journeaux ; on parle encore de nous augmenter. Encore 4 années de guerre est nous aurons la paye des Américains. Croyez bien que cet argent ne me tente pas ; car il faudra le redonner après la guerre. Et c’est toujours nous pauvres malheureux qui seront obligés de payer les impôts. Enfin nous ne risquons toujours rien de prendre ce que l’état veux bien nous donner : puisque c’est le gaspillage : autant en profiter que d’autres.

Henri Labelle, le 5 Août 1918

Vous me demandez combien nous payons le vin ; c’est 1F dans les copératives et à la Cie ; tandis que à Commercy ou dans les villages environnant ; il faut parler de 2F et 2F,25. Vous pensez que dans de telles conditions  ; je préfère m’en passer et garder mon argent pour meilleure occasion. Jusqu’à ce moment nous ne nous sommes jamais trouver à court ; s’il y a toujours eu des copératives à proximité qui nous l’ont cédé à 1F le litre. Je suis bien content d’apprendre que votre moisson et toute rentrée dans de bonnes conditions c’est un gros travail de fait. Je me rappelle aussi qu’il y a un an aujourd’hui ; je voguait sur le Châteaure(n)ault en direction de la France. Hélas les jours se suivent mais ne se ressemble pas et qui m’aurait dit l’année dernière qu’aujourd’hui je serais encore en guerre. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner que l’an prochain dans deux ans peut-être nous ne serons pas plus avancés qu’à l’heure qu’il est. La guerre d’aujourd’hui est comme les maladies ; elle devient chronique si dès quelle est déclarée on ne lui oppose pas des moyens rigoureux pour l’enrayer. C’est bien notre cas. Enfin espérons qu’elle passera à la longue. Mais gare à la note du médecin ; elle coutera cher.

Henri Labelle, le 9 Août 1918

Hier nous avons pris Chaulnes ; et nous avançons toujours ; probablement que les Bôches se replieront comme ceci jusque derrière la Somme mais après ça ne sera pas facile a les déloger. Depuis 2 jours nous avons pris 5 ou 6 pays mais quels pays c’est pénible a voir ; tout est rasé brûlé ; les routes sont minées l’on ne peux pas y mettre les pieds sans courir le risque de sauter. Les Allemands se retirent en abandonnant du matériel et de nombreux cadavres ; à chaque pas l’on en trouvent des pourris ou les vers grouillent dessus ; c’est une infection. Je vous assure que les Anglais leurs envoient quelque chose comme obus  ; quand aux avions ; ils sont nombreux comme les mouches pas un Boche ne se montre. J’ai admiré aussi le beau travail des tanks.

Henri Labelle, Chaulnes, le 28 Août 1918

Prisonnier

Je suis toujours en bonne santé et le métier va mieux que ces jours derniers. Nous commençons à être ravitaillés à peu près et chose très appréciable : une coopérative vient s’installer tous les soirs à proximité des lignes pour nous ravitailler en pinard. C’est tout ce que nous demandons. Je vous assure que tous ces jours derniers ce n’était pas le rêve pour nous ; nous avons attaqués et avancés de 13 km pris onze villages et une ville « Chaulnes » resté 18 heures sans rien manger et courir jour et nuit avec nos pièces sur le dos.

Henri Labelle, le 31 Août 1918

Hier nous avons de nouveau continué l’avance et j’ai appris que la 10e Cie avait beaucoup eu d’intoxiqués  ; peut-être il est du nombre. Moi pour mon compte, j’ai été bien servi un obus est tombé à 2m de moi ma musette blanche été percée ainsi que ma gamelle et mon quart ; mon bidon a été criblé ainsi que ma capote ; ma crosse de carabine été coupée en deux et moi comme blessure ; j’ai eu un petit éclat qui m’a a peine écorché les reins. Ce n’est pas de veine ; j’ai manqué une belle occasion d’aller a l’ hôpital. Enfin il faut espérer que nous ne resterons plus longtemps à présent dans se sale secteur ; c’est aujourd’hui le 18e jours.

Henri Labelle, le 10 Septembre 1918

Enfin je vois que les malheurs ne sont pas tous au même endroit : chacun sur la terre en prend sa part. Moi je suis toujours dans le même secteur et l’on ne parle pas de relève : nous commençons à nous y faire vieux. Vivement que l’on quitte ce sale coin de la Somme pour aller dans un secteur comme celui de la Meuse.

Henri Labelle, le 18 Septembre 1918

Je vous avais parlé sur ma dernière lettre que nous descendions au repos ; en effet depuis 3 jours nous marchons vers l’arrière retraversant à nouveau les pauvres pays dévastés et rasés par les obus. Des maisons il n’existe qu’un chaos de plâtras et de bois où l’on voit quelquefois accroché un drap ou une chemise ; c’est tout ce qui subsiste du mobilier d’une famille. Aujourd’hui nous avons traversé Moreuil théâtre de sanglants combats ; Boches et Français s’y sont battus comme des lions. De la ville il ne reste rien  ; c’est à peine si l’on reconnaît l’église ; c’est un monceau de ruines l’on y voit que des débris de meubles, de linges du fer tordu déchiqueté de larges tâches de sang ; des casques Boches des bottes des fusils brisés des capotes pleines de sang ; en un mot un vrai carnage. Je vous cite celui-ci ; mais il en est de même des autres.

Henri Labelle, le 27 Septembre 1918

Moi je suis cantonné dans un petit pays nommé Grattepanche environ 80 km du front ce n’est pas bien gai attendu que l’on n’y trouve rien ; il y a juste une épicerie-bistro où tout est hors de prix ; comme d’ailleurs toutes les ville du Nord. Aussi l’on ne m’y voit pas souvent. Heureusement que notre coopérative se tient a proximité et nous approvisionne tant bien que mal. Je ne sais si nous resterons longtemps dans ce pays  ; mais d’après ce que je vois j’ai tout lieu de croire que nous y passerons notre repos.

Henri Labelle, le 4 Octobre 1918

Deux mots pour vous donner de mes nouvelles vous savez que depuis que nous étions descendus de la S... nous étions au repos à l’arrière mais malheureusement notre repos ne dura pas longtemps : en tout 9 jours et hier nous avons à nouveau embarqués pour une autre destination. Nous sommes un peu à droite de St Qtin quand je dis nous sommes ; j’exagère un peu ; car nous n’y sommes encore pas mais nous montons demain. Je ne sais pas si le secteur est mauvais mais d’après les renseignements il paraît que non. D’ailleurs nous ne pouvons pas faire grand-chose ; nous n’avons pas reçu de renforts ; et à ma section nous restons 3 hommes pour faire marcher 2 pièces. Plus tard quand nous serons en ligne je vous tiendrai au courant [...]
Quand à moi il ne faut pas m’attendre avant la fin Octobre et encore il ne faut pas que le pays soit consigné en raison de la « grippe espagnole » : beaucoup de département du midi et de la Bretagne y sont déjà et je ne m’étonnerais pas que le nôtre y soit aussi.

Henri Labelle, le 8 Octobre 1918

[...] depuis ce jour nous ne faisons que des marches et des contre marches nous sommes montés en ligne avant hier après avoir fait 39 km et 4 heures de temps nous avons été relevés par des tirailleurs ; total il a fallut remarcher de nouveau. Nous nous sommes donc appuyés encore 18 km pour prendre un secteur plus à gauche. Pour moi ils veulent nous user les jambes jusqu’au genoux avant de nous libérer. Heureusement que le ravitaillement nous arrive mieux qu’en Orient sans quoi nous ne serions pas à la noce.

Henri Labelle, le 12 Octobre 1918

Cher Monsieur

Comme vous me l’aviez demandé l’autre jour je vous envoie quelques renseignements que j’ai pu recueillir sur votre fils. Il a été porté disparu le 12e jour de l’attaque personne ne peut dire ce qu’il est devenu  ; il faisait la liaison avec un de ses camarades et on ne les a jamais revus, peut-être sont-ils prisonniers, car il y en a eu pas mal de ramassés ce jour-là. Enfin espérez toujours car il y a beaucoup de chances qu’il soit prisonnier.
Veuillez accepter messieurs l’expression de mes plus sincères regrets.

Picard René, le 29 octobre 1918

C’est avec une joie immense que je vous envoie ces deux mots. Voici en quelques lignes le récit de mon aventure  : mon régiment fut chargé le 14 octobre au matin d’attaquer pour traverser l’Oise et prendre le petit village d’Origny. À 6h15 le barrage se déclenche et nous partons à l’assaut enlevant de haute lutte notre objectif. Malheureusement les ailes du régiment n’avancent pas ; nous fumes arrêtés bientôt par de violents feu de mitrailleuses ce qui nous obligeat à nous terrer. À la hate nous creusons de petits trous ; mais vers les 2h1/2 les Boches nous déclenchent un terrible tir de barrage qui dure environ une demi-heure et nous contre attaque violemment ; nous répondons de notre mieux mais décimés par les mitrailleuses les Cie se replient ; les Boches sont à 15 m de nous ; nous nous tirons tout debout comme des lapins enfin après quelques instants de résistance nous sommes obligés de mettre bas les armes ; car nous sommes cernés et prisonniers. Je suis resté 1 mois avec ces sauvages sans pouvoir vous envoyer un seul mots et si je puis vous écrire aujourd’hui c’est grâce à l’armistice car dès qu’il a été signés ; ils nous ont libérés. Aujourd’hui je vous écris d’une petite ville de Belgique ; nous venons de trouver les avants gardes française ; sous peu je pense aller vous voir. Plus tard je vous donnerai de plus amples renseignements sur ma captivité et croyez bien que ce n’est pas de ma faute si vous êtes restés 1 mois sans nouvelles.

Henri Labelle, Salles - Belgique, le 17 Novembre 1918