Nous retrouverons dans les pages qui suivent des extraits de la large correspondance du jeune Henri avec ses parents ou sa soeur Suzanne ; un récit truculent restitué "dans le jus" au plus près de sa langue d'origine, coquilles incluses.
[...] la journée a bien mal commencé nous avons eu la pluie tout au matin si elle continue encore quelques jours les troupes seront fraîches comme disent les journaux mais d’une autre façon ; moi je préférerais avoir le beau temps de ces jours dernier que de patauger dans la boue du camp.
Henri Labelle, Samedi 1er Janvier 1916
J’ai reçu lettre et colis tout est arrivé à bon port et en bon état ; je serai curieux de savoir ce que signifie cette inscription « loi du 23 décembre 1915 » est-ce que par hasard vous auriez le droit d’en envoyer 1 par mois pour rien comme j’avais entendu parler ; ça serait pas dommage J’ai reçu des nouvelles de mon oncle Jules ces jours derniers ; ils sont comme nous ils font des tranchées alentour de Salonique [...]
Henri Labelle, le 15 Janvier 1916
Sur sa lettre il me demande de lui dire où notre camp se trouve à peu près qu’il viendrait me voir ; comme il est ordonnance ça peut se faire mais je doute fort que nous soyons assez près l’un de l’autre pour qu’il puisse venir vers moi
D’après votre lettre je vois que la vie commencent à devenir chères ; 500 Fr. une vache c’est bien payé ; si seulement vous en aviez beaucoup a vendre vous feriez de l’argent.
Henri Labelle, le 22 Janvier 1916
Ces jours derniers nous nous sommes mis à poil ; on a mis tous nos habits dans des tonneaux ou on brûlait du souffre ; puis nous nous sommes frottés avec du pétrole ; depuis les pieds jusqu’au cou ; mais ça n’a rien fait du tout ; ça les a engourdis pour 2 ou 3 jours et maintenant ils recommencent à nous mordre comme avant et nous ne pourrons jamais nous en débarrasser. Tout le régiment il y avait passé à la sulfuration et l’on en avait je crois bien plus après qu’avant ; il était partagés ceux qu’en avait beaucoup en ont donné à ceux qui en avait guère ; c’est dégoûtant d’avoir de la vermine pareillement. Si seulement en nous donnait le temps de laver ; mais l’on se rechange tous les 15 ou 20 jours ; c’est trop longtemps. Tous les jours qu’il fait beau temps on voit tout le régiment à poil qui cherche ses gos ça mérite un coup d’œil ; s’il venait un photographe prendre un cliché ; il pourrait faire mettre sur le journal en grosse lettre : Nos poilus cherchent leurs poux.
Henri Labelle, le 1 Février 1916
J’ai reçu votre colis par chemin de fer hier je ne croyais pas qu’il viendrait si vite il a mis 20 jours exactement ; c’est peu pour la distance ; Vous aviez peur que le contenu soit endommagé au contraire les croquets étaient à peine brisés Je félicite celle qui les a fait ils sont excellents et il y avait longtemps que je n’en avait point mangé [...]
Henri Labelle, le 8 Février 1916
Vous m’écrivez qu’il y a des permissionnaires du front ; j’aime autant rester en Grèce et n’avoir pas de permission que d’aller en France et me faire casser la figure en arrivant ; ici on ne risque rien pour le moment
Sur la dernière vous me demandez de bien vouloir me faire photographier ce n’est pas chose facile car il n’y a pas de photographe au camp. Mon oncle Jules lui c’est autre affaire il est a Salonique ; il peut faire ce qu’il veut moi jusqu’a aujourd’hui ; je n’ai put acheter que quelques vues de Salonique que je vous envoie dans la lettre ; Suzanne les mettra dans sa collection. Rien à signaler d’anormal ailleurs que les Zeppelins et les aéros Boches qui viennent nous rendre visite de temps en temps et nous lachent des bombes. Hier 16 des nôtres ont été bombarder la gare de Stroumitza il ont lancé 165 bombes et ont capturé un aéroplane allemand ; c’est une belle journée pour nos aviateurs
Henri Labelle, le 19 Février 1916
[...] les permissionnaires partent par classe et par ancienneté au front ; il y a un départ tous les 18 jours de 3 homme pour 100 et comme nous sommes un 100 et que je suis une des plus jeunes classe ; mon tour viendra en 1918 ; donc pour mieux vous dire il ne faut pas y penser à moins qu’il y ait un changement. D’ailleurs pour le moment je me plait mieux ici qu’autour de Verdun ; ça fait moins de bruits Vous me demandez si je vois des journaux français oui mais un mois après ; ce ne sont pas des nouvelles fraîches Nous avons sus que les Bôches avait attaqués Verdun ces temps derniers parce que la nouvelle est venu par télégraphie sans fil ; mais à part ca on ne sait rien.
Henri Labelle, Dzuma (?), le 5 Mars 19165
Je suis content de n’être pas tout seul des alentours de chez nous et ça fait plaisir d’avoir de copains avec qui on peut parler du pays. Plutard j’aurai peut-être l’occasion de faire encore de nouvelles connaissances ; car je ne m’attendais guère à trouver ceux avec qui j’ai parlé hier ; c’est l’accent qui nous a fait connaître ; ils parlaient patois comme nous ; je me doutais bien qu’ils ne devaient pas être bien loin de chez nous [...]
Henri Labelle, le 10 Mars 1916
A part ca rien de nouveau en Macédoine toujours la même chose on remue de la terre. Aujourd’hui il pleut ; nous sommes tapis comme des renards sous nos guitournes attendant avec impatience que Mahomet vienne nous chauffer la carcasse pour sortir.
Tous ce qui me ferais plaisir ce serait de m’en aller pour t’apporter des tortues ; nous en sommes infestés et ça serait joli deux carapace sur une commode
Henri Labelle, le 19 Mars 1916
J’ai reçu votre gros colis par chemin de fer hier ; il a mis 14 jours pour venir. Je vous remercie beaucoup du contenu ; les pomme les prunes et les confitures sont excellentes ; jamais la Macédoine n’a vu de si bonnes choses car elle sa seule production est vipères scorpions tortues
Henri Labelle, le 25 Mars 1916
Quant à la gelée de pomme ; je félicite celle qui la faite ; je m’en lèche les babines ; c’est vrai que l’on n’est plus habitué au douceurs maintenant ; à force de manger du buffle de la chèvre du cabri et même des pattes de tortues et du renard que certains lascars mangent mais moi je ne peux pas vous dire quel goût elles ont je n’en ai encore point mangé [...]
Henri Labelle, le 29 Mars 1916
Maintenant nous avons repos tous les dimanches tantôt pour laver notre linge et nous nettoyer mais les totos sont toujours durs à faire partir on a beau faire ils sont trop nombreux on les trouvent en colonnes par quatre. Vers nous il fait une chaleur torride on nous fait faire la sieste de 9½ du matin à 2H de l’après-midi ; on est peinard ; quoique il n’y a pas moyen de rester sous les tentes tellement il fait chaud ; je ne sais pas comment nous allons faire le mois de juillet si ça continue. Hier une quinzaine d’aéros Bôches sont venus nous rendre visite il était encore pas jour ; on les voyait briller a la lune ; les nôtres les ont pris en chasse et en ont fichu 4 par terre ; il y en a un qui est tombé à 2 km de nous ; on a rigolé. Ce qui n’empêche qu’ils ont blessés et tués une quinzaine de soldats du génie à Salonique en jetant des bombes. À part ca rien de nouveau au camp je me porte bien et j’attends avec impatience la fin de la guerre. Surtout ne comptez pas sur les permissions car quand mon tour viendra ; nous serons dans l’année prochaine et je n’en ai même pas demandé. Pour s’en aller il y a des formalités du diable à remplir et l’on voyage avec risques et périls d’être torpillé en route et après cela il paraît que l’on retourne à son dépôt et que l’on part pour n’importe quel régiment ; moi je n’y tiens pas ; j’aime autant rester ou je suis que d’aller me faire démonter la cafetière en France.
Le printemps commence à se faire sentir les montagnes verdissent ; les rares arbustes qu’il y a ont des feuilles mais quelle différence avec notre beau pays de France ; en ce moment tout est en fleurs chez nous tandis qu’ici rien pas une fleur ni un arbre ; c’est la vraie désolation partout.
Henri Labelle, le 8 Avril 1916
J’apprends aussi que le 35e a été rudement secoué à l’attaque de Verdun ; je suis sûr qu’il n’y en reste pas beaucoup ; heureusement que j’ai eu la veine de partir dans un régiment de réserve sans quoi je serais peut-être bien le ventre en l’air en train de manger les pissenlits par la racine.
Henri Labelle, Kilkis (?), le 16 Avril 1916
Et dire que les journaux français se moquent des Boches ; mais nous on est encore plus mal nourris puisqu’on la crève. En France on vous bourre le crâne ; on vous dis que la guerre va bientôt finir que les soldats sont bien nourris ; à leurs dire ont est comme des rois ; c’est tous des menteurs la guerre va bien encore durer 18 mois et nous sommes nourris plus mal que nos cochons ; ensuite de ça nous travaillons comme des nègres c’est-à-dire de 4h½ du matin à 10h½ et le soir de 1h à 6h ; on fait des routes pour ses croquants de Grecs qui sont tous les jours avec les Boches ; moi je ne comprend rien dans ce fourbi là. Les soldats grecs s’ent vont chez les Boches puis ils reviennent dans nos lignes ils peuvent espionner tant qu’ils veulent et c’est tous les jours comme cela. Moi je pense que si la guerre dure encore 6 mois nous n’aurons plus rien à nous mettre dessous la dent parce que nous sommes déjà rudement rationner ; quan nous travaillons un peu loin ce n’est pas la peine de se déranger pour manger ça ne vaut pas le coup. Maintenant comme boisson nous touchons 1 petit quart de vin par jour et ils nous parlent de nous le supprimer ; si c’est comme cela nous serons obliger de recourir au sirop de parapluie ; ce n’est pas ce qui manque dans les fossés. Enfin je vois que c’est la fin du monde la destruction du genre humain tant qu’il y aura un homme debout ça ne finira pas ; eh bien puisque c’est cela vivement qu’on aie la gueule cassée et qu’on en parle plus ; car vous avouerez que ce n’est pas une vie que l’on mène ceux qui sont en France peuvent encore coucher dans les maisons sur la paille mais nous voila bientôt 8 mois que nous couchons dehors dans la boue la neige tous ce qu’on veut.
Henri Labelle, le 6 Mai 1916