Nous retrouverons dans les pages qui suivent des extraits de la large correspondance du jeune Henri avec ses parents ou sa soeur Suzanne ; un récit truculent restitué "dans le jus" au plus près de sa langue d'origine, coquilles incluses.
Toujours rien de nouveau vers moi ; nous prenons les avants postes un peu à droite de Doiran ou la frontière fait un coude. Ces jours derniers nos artilleurs on abattu un zeppelin et un aéro aux environs de Salonique les Boches doivent être en colère. Tous les jours des déserteurs Bulgares viennent se rendrent ils crèvent la faim ; ils sont comme nous ; nous avons aussi des Russes qui étaient prisonniers chez les Bulgares ; il travaillaient sur la voie ferrée de Stroumitsa à Doiran.
Henri Labelle, le 9 Mai 1916
[...] il fait toujours une chaleur torride et l’on travaille à faire des routes toute la journée ; je vous assure qu’à Biribi ils n’en bavent pas plus que nous ; c’est la chaleur qui nous tue l’on n’y est pas habitué. En plus de cela les nuits sont fraîches c’est ce qui provoque des maladies ; les fièvres paludéennes ; pour les combattre on nous donne tous les jours des pastilles de quinine ; mais moi je n’en prend pas parce que ca abîme l’estomac. Voilà 8 mois que nous sommes en Orient on commence à se faire au climat ; car les cas de fièvre se font de plus en plus rares.
Henri Labelle, le 15 Mai 1916
Il n’y a qu’un petit village qui se trouve environ à 4 km ou nous logeons et ou l’on pourrais avoir du mauvais vin ; c’est défendu d’y aller ; si l’on se fait prendre c'est 15 jours de prison ; malgré cela il y en a toujours qui y vont ; mais moi j’aime mieux m’en passer que d’attraper de la tôle car ce n’est pas le filon d’être puni de prison ; on leur fait faire l’exercice matin et soir avec le chargement complet et entre les heures d’exercice on les fait travailler comme des nègres ; vous voyez que ce n’est pas amusant.
Henri Labelle, le 5 Juin 1916
Tous les hôpitaux et les ambulances sont pleins de malades et tous les jours on en évacuent des tas ; si cela continue tout le corps expéditionnaire sera bientôt dans les hôpitaux. Les trois quarts de la troupe sont atteints de diarrhée et de coliques ; pour moi c’est la dysenterie ; ils seront peut-être bien obligés de nous faire rentrer en France s’il ne veulent pas ramener le corps expéditionnaire dans une lettre ; car je crois qu’il n’en resterais pas beaucoup. Ces temps derniers ils ont amenés des troupes Malgaches et tous les jours il y en a qui cassent leurs pipes ; ils ne peuvent pas s’habituer au climat ; preuve qu’il n’y fait pas bon ; car les Malgaches sont bien habitués à la chaleur. En plus de cela nous sommes infestés de mouches elles pullulent sous nos tentes c’est impossible de dormir il y en a toujours 2 ou 300 qui se promènent sur votre figure ; quant l’on mange il y en a plein les gamelles elles se fourrent partout.
Henri Labelle, le 9 Juin 1916
Tout était en bon état ; le lard est aussi frais que dans un saloir ; je vais bien m’en régaler car il y a un bon moment que je n’en n’ai point mangé. Je suis bien content d’avoir la bouteille d’alcool de menthe ; elle va bien me servir. Quand aux poux je m’en suis complètement débarrassé ; ce n’est pas sans peine ; c’est à force de faire bouillir le linge et de me frotter avec l’onguent gris.
Henri Labelle, le 30 Juin 1916
Quand à ses coup de canons que vous entendez jours et nuits je ne m’explique pas ou juste d’où ils peuvent s’entendre car Verdun c’est encore diablement loin de chez nous. C’est vrai que quand des milliers de pièces de tous calibres tonnent ensembles ça fait un rude chambard
Henri Labelle, le 20 Juillet 1916
Merci beaucoup de ta belle pensée ; j’aime bien quand je reçois des fleurs de France ; elles me rappellent beaucoup de choses. Celles que tu m’a déjà envoyées ; je vais les arranger sur des cartes militaire et je te les renverrai, tu pourras dire qu’elles ont fait un beau voyage. En attendant je t’en envoie 2 de ma fabrication ; tu vas rire ; que veux-tu ça me passe le temps ; sous peu je me perfectionnerai. Dis moi aussi si tu as reçu la photo du Turc avec son ane car celle-là j’y tiens beaucoup
"lettre à Suzanne" Henri Labelle, le 6 Août 1916
J’apprends aussi de nouveaux estropiés et de nouveaux disparus mais quand donc cette boucherie finira ; ce n’est plus de la civilisation c’est de la barbarie et dire qu’il faut venir au 20° siècle pour voir cela. Vous me demandez aussi si c’est nous qui avons pris Doiran ; non ce sont les Anglais ; ils ont fait un bombardement de 8 jours puis ils ont pris la gare et les hauteurs mais Doiran n’est n'y a nous n'y aux Bulgares ; moi je vous en parle surs ; nous étions a coté. Pendant 8 jours ce fut une pluie de marmites sur les tranchées Bulgares ; la journée on voyais des vagues de fumée s’élevant de 2 à 300 m d’ hauteur tellement les obus tombèrent serrés ; la nuit c’était tout autre chose ; on s’aurait cru au 14 juillet ; toute la plaine et les montagnes brûlaient ; c’était beau a voir mais il ne faisait pas bon se trouver dessous. Aujourd’hui nous sommes relevé des avants postes par les coloniaux ; nous nous dirigeons sur l’arrière ; peut-être irons nous au repos pour quelques jours ça ne serait pas de trop car notre régiment est en ligne depuis le début sans jamais être relevé.
Henri Labelle, le 27 Août 1916
Quand à nous nous en voyons de toutes les couleurs on bouffe des kilomètres tous les jours ce qui n’est pas amusant par la chaleur qui fait. Heureusement que nous avons quelques distractions ; tantôt nous fraternisons avec les Italiens tantôt avec les Malgaches ; le lendemain c’est avec annamites et aujourd’hui nous logeons a côté des Russes ; ce sont de bons et beaux gaillards [...]
Henri Labelle, Florina, le 7 Septembre 1916
Nous sommes tout près de Florina du haut des crêtes on aperçoit la plaine qui va à Monastir ; mais quand est-ce qu’on l’attrapera cette plaine que l’on voit devant nous peut-être jamais car elle est bien gardée. Néanmoins j’ai bon espoir ; les Bulgares se rendent en quantités ; nous avons fait hier 22 prisonniers ; il y avait 3 jours qu’ils n’avaient rien mangés ; on leurs donnaient du pain des vieux croutons ils mordaient a belles dents. Ils sont vilains on dirait des diables avec leurs grands cheveux sales et pas rasés quand ils nous chargent dessus en hurlant on ne peut se défendre d’avoir un petit frisson. Heureusement que mon moulin café a tôt fait de leurs faire tourner bride.
Vous devez sûrement avoir reçu mes lettres écrites de Verria ; mais aujourd’hui nous en sommes loin nous sommes à Kastoria ; vous vous rendez compte sur la carte de la distance parcourue. Nous avons marché 4 jours sans arrêter parfois toute la nuit et voila 3 jours que nous sommes sans ravitaillement ; on est obligé de voler pour se nourrir. Hier nous avons entré dans 2 pays occupés par les Bulgares nous avons pris des poules des cochons des moutons et ainsi de suite ; il fallait bien on avait rien à se mettre sous la dent. Aujourd’hui nous avons toucher un peu de pain de maïs qu’ils ont réquisitionnés dans les pays sans quoi en ce mettrait encore une belle ceinture. Plus nous irons de l’avant plus nous crèverons la faim ; notre gare de ravitaillement est Verria et nos vivres viennent vers nous en camions automobiles à travers les montagnes les ravins et les précipices ; sur les rivières les ponts sont sautés ont ne peux pas passer ; comme ça nous ne pourrons jamais avoir de pain ni rien du tout.
Henri Labelle, Kastoria , le 15 Septembre 1916
Quand à moi je suis toujours en bonne santé ; la vie de galérien que nous menons voila bientôt 1 mois ne m’a encore pas fait attrapé une maladie intelligente pour m’envoyer à l’hôpital. Cependant je serai bien content d’aller passer 2 ou 3 mois coucher dans un lit ; voila assez longtemps que je couche a la belle étoile. Tous ce qu’il y a c’est que nous sommes bien mals ravitaillés ; on est obliger de se nourrir dans le pays où on passe rien n’arrive nous ne mangeons que du pain de maïs réquisitionnés dans les pays et bien content quand nous en avons ; ce n’est pas tous les jours.
Henri Labelle, le 17 Septembre 1916
Depuis que je vous ai écris c’est le troisième jour que nous commençons a avoir du ravitaillement nous sommes restés deux jours complet sans rien mangé du tout et les autres jours presque rien. Enfin maintenant que notre ravitaillement viens par Florina ; nous n’aurons peut-être pas tant à souffrir de la faim. Quand à vos lettres il y a un bon moment que je n’en ai pas reçu non plus ; les dernières étaient je crois du 23 Août. Vous n’avez qu’a voir comme le service postal marche ; d’ailleurs on ne peux pas seulement nous amener du pain ce n’est pas pour nous amener des lettres. Quand vous m’écrirez donnez-moi des détails sur ce qui se passe en France car depuis 1 mois que nous avons quittés les environs de Doiran nous sommes isolés du reste du monde ; on ne sais absolument rien pas même de ce qui se passe dans les Balkans on voit juste ce qui se passe dans notre secteur. Je vous assure que je trouve le temps long et je commence a me lassé de cette vie la ; voila bientôt quinze jours que nous couchons à la belle étoile sans monter de tentes ni enlever nos souliers c’est dur. Quand vous enverrez un colis vous pourrez y mettre un peu de chocolat ; il ne risque plus de fondre maintenant ; nous sommes dans les Montagnes il n’y fait pas chaud. Adieu aux belles chaleurs du col de Popovo près de Doiran où l’on se promenais en casque en liège et en kaki ; maintenant on est heureux d’enfiler le pantalon de draps et de rabattre le bonnet de police sur les oreilles car nous sommes perchés sur les hauteurs variant de 1500 à 2000 mètres ; il y fait froid ; ce n’est plus du tout le même climat que ou nous étions avant.
Henri Labelle, le 27 Septembre 1916
Ce qui nous manque le plus maintenant ; c’est le vin ; on n’en touche plus ; du tabac voilà 2 mois que l’on en a pas eu mais on a du pain ; c’est l’essentiel ; je vous assure que l’on ne demande rien pour manger avec ; pourtant il est dur et tout moisi ; il n’a pas moins de 14 ou 15 jours ; il faudrait presque une hache pour le couper [...]
Henri Labelle, le 29 Septembre 1916
C’est une pauvre existence que nous menons ; tout est contre nous ; les malades crèvent dans les champs comme de pauvres chiens ; le service de santé n’a rien à leur donner autre chose que de la quinine ; les blessés restent sur place ; on ne peux pas les transporter il n’y a aucun moyen de communication ; on ne marche qu’a dos de mulet ; mais ceux qui sont blessés en dedans on ne peux pas ils mourraient avant d’avoir fait 1 km : heureux ceux qui sont atteint au bras ils peuvent s’en aller d’eux même sans quoi il vaut mieux être tué. Moi je voudrais bien attraper quelque chose pour être évacué en France ; je vous assure que je ne demanderais pas à revenir en Orient car c’est un vrai pays de malheur. Ceux qui en réchapperont en garderont le souvenir toute leur vie. Envoyez-moi dans un colis savonnette et alcool de menthe ; elle m’a bien été utile pendant les grandes chaleurs.
Il n’y a plus que six compagnies au régiment et elles n’atteignent pas 100 poilus ; juger comme on est nombreux : 3 ou 4 mois d’hiver là-dessus et il ne restera plus personne.
Henri Labelle, le 21 Octobre 1916
Maxime lui est retourné au dépôt ce n’était pas bien grave non plus. De cette affaires je vois que c’est moi qui tiens le record ; depuis plus d’un an que je suis au 235e je n’ai pas été encore voir le major mais un jour j’y serai peut-être bien obligé. Maintenant j’ai une nouvelle a vous annoncer je vais passer au 260e ; les officiers nous ont dis hier soir que le 235e allait être dissous et qu’il irait un bataillon aux 242e et l’autre au 260e ; moi j’en suis bien content, je serai avec tous les copains. Que voulez-vous de notre régiment il n’en restait plus
Henri Labelle, le 29 Octobre 1916
Je pense aussi voir quelques copains maintenant que je suis au 260e et je t’assure que je n’ai pas regret d’y être ; on est diablement mieux nourri ; nous touchons un ¼ ½ de vin par jour et un ¼ de rhum pour 3 et des fois pour deux ; chose qui ne s’est jamais vu aux 235e [...]
Henri Labelle, le 4 Novembre 1916 260e d’Inft, 7e CMR, SP 508
Tu me demande aussi si je n’ai pas besoin d’habits divers ; si vous avez un vieux caleçon assez chaud il y aurait trente six mille pièces après ça ne ferait rien mais je n’en veux pas de neuf ; le gouvernement est assez riche pour nous habiller ; s’il ne le fait pas c’est parce qu’il ne veut pas.
C’est de Monastir même que je vous écris ces quelques lignes ; nous y sommes entrés hier les Bulgares battent en retraite abandonnant un nombreux matériel ainsi que des munitions. Depuis quelques jours nous avons avancés de presque 10 km en profondeur Aussi qu’est-ce qu’on leurs a envoyé comme obus pour les déloger de leur camp retranché il fallait voir ; pas un coin de terre qui n’était pas remuée ca tombait comme la grêle des journées entières ; si bien que hier matin nous avons entrés dans leurs tranchées l’arme à la bretelle ; ils n’y avait plus rien dedans. Avant de quitter leurs tranchées ces braves Bulgares ont tenus a nous féliciter ils nous ont laissé un billet sur lequel était écris ces mots « adieu braves soldats français ; vous êtes des gens d’honneur vous nourrissez bien nos prisonniers ». Ce sont des gens bien élevée ; ils sont polis. En attendant nous leurs avons pris Monastir ; leur ville imprenable qu’ils vantait tant ; c’est un sale coup pour eux et une belle victoire pour l’armée d’Orient ; ce qui prouve aussi que rien ne résiste devant l'artillerie française. Aujourd’hui toute les rues de la ville sont pavoisée comme en France au 14 Juillet ; c’est fête chez les Serbes. Si j’ai l’occasion d’aller me promener un peu je tacherai de vous envoyer des cartes de la ville car c’est assez important la ville vaut le coup d’être visitée il y a de beaux édifices. Vous ne devineriez jamais non plus d’ou je vous écris ; eh bien c’est au consulat de France. Dans une belle chambre un vrai palais quoi car j’oubliais de vous dire que je suis de garde au consulat. Nous sommes très bien nous logeons dans le palais même du consul ; d’ailleurs nous sommes pour le garder c’est bien le moins du monde de coucher à côté de lui.
Henri Labelle, Monastir, le 20 Novembre 1916
Vous me dites sur votre lettre que nous allons êtres remplacés par de nouvelles troupes et que nous allons rentrer en France ; chez nous on en parle fort mais est-ce vrai ; moi je n’y crois pas : pourtant après un an d’Orient nous serions bien en droit d’être relevés. Quand aux permissions dont vous me parlez c’est bien vrai je l’ai vu sur des journaux de France que des copains avaient reçus ; mais ils ne veulent pas nous en donner il n’y a rien à faire nous sommes toujours les poires. Vous me fait rire aussi quand vous me dites qu’ils préfèrent garder ceux qui sont depuis un an parce qu’ils sont habitués au climat ; vous croyez donc qu’il en reste encore beaucoup du début ; mais il n’y en a plus ; à ma pièce nous sommes encore 3 tous les autres ce sont des nouveaux venus en renfort. Donc ils peuvent très bien amener de nouveaux corps d’armées pour nous remplacer ils sont si bons que nous de goûter de la Macédoine.
Henri Labelle, le 9 Décembre 1916
Nous sommes descendus des avants postes dans la nuit du réveillon et c’est en arrivant que j’ai trouvé le colis. Après 27 jours de tranchée vous pensez si j’étais content de croquer une pomme et dans ses 27 jours nous n’avons jamais mangé une fois chaud Maintenant je vais vous gronder de m’avoir envoyer un caleçon neuf ; un vieux c’était suffisant ; vous ne m’enverrez pas de tricot ; j’ai touché un chandail hier J’ai trouvé aussi les pierres a briquet les épingles de sûreté toute les petits bibelots que vous m’avez envoyé ; je vous en remercie beaucoup.
Henri Labelle, Monastir, le 26 Décembre 1916
Un de ces jours je vous ferez moi aussi une petite surprise ; je me suis fait photographier à 150m des Bulgares avec mon brigadier et un copain ; nous sommes dans un ravin à côté de nos guitounes dans nos trous nous venons de dîner. Malheureusement c’est de la photo en petit ; seulement vous pouvez faire un agrandissement.