collage d'une Pensée

Mille et un jours...

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Mitrailleur - chapitre 3/12

Les tribulations d'un cafard durant la première guerre mondiale.

Nous retrouverons dans les pages qui suivent des extraits de la large correspondance du jeune Henri avec ses parents ou sa soeur Suzanne ; un récit truculent restitué "dans le jus" au plus près de sa langue d'origine, coquilles incluses.

Mitrailleur

On nous a encore piqué contre la typhoïde hier ; ils vont nous faire crever s'ils continuent ; il y en a des qui sont malade comme des chiens ; moi pour comble de bonheur il m'a cassé sa seringue dans le dos en me piquant De l’affaire il a fallut recommencer j'ai été piquer 2 fois de suite.

Henri Labelle, Besançon, le 19 Juin 1915

Ça chauffe très fort sur le front ces temps-ci ; il passe des trains de blessés sans discontinuer à Besançon tous des chasseurs alpins et des chasseurs à pieds et très peu de biffins. Je crois que ça va marcher rondement et si ça continue les hommes vont bientôt manquer de la manière qu'ils dégringolent Moi sûrement que je vais y retourner sou peu car les dépôts sont vidés il en part tous les jours.

Henri Labelle, Besançon, le 27 Juin 1915

Pour le moment je fais un drôle de métier ; je travaille toute la nuit et je me couche la journée ; je suis employé à la manutention ; nous aidons les boulangers ; nous partons à 8H du soir et nous rentrons a 5H du matin ; c'est rude ; mais nous sommes tranquille la journée ; l’équipe est de 20 hommes nous emmagasinons les boules de pain et nous leurs donnons un coup de main pour enfourner.

Henri Labelle, Besançon le 1er Juillet 1915

j’ai laissé le métier de mitron pour entrer aux mitrailleurs ; si j’ai préféré ce métier la c’est parce-que le temps d’apprendre le mécanisme ca va demander presque 1 mois ; c’est toujours autant
Et l’avantage qu’il y a c’est que les mitrailleurs dans la tranchée n’attaquent jamais a la baïonnette et ne montent jamais la garde ; ils mangent à part et logent a part aussi ; ils font moins d’exercice que les autres et c’est plus intéressant. Les mitrailleurs ne portent pas le sac ; ils ont juste un petit mousqueton de cavalerie comme fusil.

Henri Labelle, Besançon le 4 Juillet 1915

Je ne partirai pas si tôt que je croyais sur le front ; maintenant que je suis aux mitrailleurs ça va me repousser presque de 1 mois ; tous les jours nous allons faire des mise en batterie en dehors de la ville et le tantôt théorie sur la pièce. Si tu voyais ce mécanisme qu'il y a dans une mitrailleuse ; c'est a en perdre la tête ; nous allons commencer notre stage lundi je crois ; c'est des instructeurs spéciaux qui vont nous apprendre à faire marcher le moulin a rata mais je te promet qu'il y a du cassement de tête pour apprendre le nom de toutes les pièces ainsi que le montage et le démontage de la mitrailleuse  ; moi ça me va, je l’apprendrai toujours. De ma chambre ; il y en avait au moins 4 ou 5 qui avaient demandér  ; il n'y a que moi qui a été accepter ; je ne sais pas pourquoi.

Henri Labelle, Besançon, le 7 Juillet 1915
lettre septembre 1915
carte - lettre de l'espérance

Moi je suis toujours avec ma mitrailleuse a bourrer le crâne a apprendre les pièces ; nous la démontons et la remontons toute la journée ; c'est un fourbi du diable ; il y a au moins 200 pièces à ajuster ; c’est a y perdre son latin. Nous faisons aussi quelques mises en batteries et je vous promet que ça n'est pas une petite affaire que de ramper avec une pièce sur ses bras ; elle fait une trentaine de kilog ; le trépied et son support pivotant en fait autant cela fait en tout 60 K ; c'est déjà quelque chose surtout quand il faut trotter avec chacun a une affectation spéciale les uns sont tireurs les autres chargeurs ou télémétreurs et ainsi de suite ; moi je suis chargeur ce n'est pas l'emploi le moins délicat ; car souvent l'enrayage d'une pièce provient du chargeur qui n’a engagé pas ses bandes de cartouches comme il faut : c'est surtout dans la position couché que ce n'est pas facile car il faut engager ses bandes de cartouches étant sur le dos. Enfin l'on s'arrangera bien et j'espère que dans une vingtaine de jours je serai capable de servir aux Boches une tournée de pruneaux qui ne seront pas facile à digérer.

Henri Labelle, Besançon, le 11 Juillet 1915

Je vous remercie du billet de cinq F, mais je ne vais pas encore partir maintenant ; je fais mon stage au centre ou si vous aimez mieux à l'école de mitrailleurs ; nous avons commencé hier matin ; cela dure 20 jours ; il faut se lever a 4 H du matin ; et l’on rentre à 10 H ; le soir on rentre a 5 H ca barbe  ; on est au moins 300 qui apprennent le fonctionnement de la mitrailleuse ; le règlement est extrêmement stricte ; il faut être des soldats d’élite car c'est très sévère ; pour un rien on attraperait 8 jours de salle.

Henri Labelle, Besançon, le 14 Juillet 1915

Moi je suis toujours avec mon moulin a rata ; ces jours derniers nous avons fait des tirs a blanc et hier nous avons été à la cible tirer avec des balles réelles il n'y a pas besoin de demander si sa crachait  ; on était plein de fumée et d'huile qui nous avait sauté à la figure ; on tirait le maximum 850 coups à la minute les balles faisait voler la terre de tous les côtés. Nous en apprenons de 4 marques différentes  ; il y a la mitrailleuse française ; l'anglaise ; l'américaine et la Bôche ; pas une n'est faite la même chose ; le plus difficile est de savoir le nom des pièces et de dire à quoi elle servent.

Henri Labelle, Besançon le 18 Juillet 1915

Je vous envoie ces deux mots pour vous dire que nous sommes entrés en Alsace hier à midi ; aujourd'hui nous cantonnons chez des habitants tous près de la ligne de feu ; à 3 K environ ; mais les Boches ne sont pas dangereux ici ; à peine si on les entend on ne dirais pas être si près d’eux ; le canon ne tire pas non plus c’est calme [...] Moi je suis très content d'être en Alsace ; comme ça j'aurais tenu les deux bout de la ligne de feu. Je vous dirai bien en quel pays je suis mais c’est défendu ; j'attraperais de la prison. Il n'y a pas moyen non plus de comprendre le jargon des paysans ; c'est un baragouin a n’en plus finir.

Henri Labelle, Alsace, le 2 Octobre 1915 235em de ligne, CMR, Secteur 42

Vous allez êtres étonnés d’un changement si subit ; il y a deux jours on était en Alsace ; maintenant nous sommes tout près de Lyon. Voici un peu de détail ; avant hier j’étais aux tranchées ; quand l’ordre est arrivé que nous devions être relevé dans la matinée par les chasseurs ; en effet une demie heure après nous partions avec tous notre matériel direction Belfort. Nous sommes arrivé à Belfort a pied hier matin puis nous avons embarqué nous avons passés par Besançon ; Dole ; Chaussin ; St Bonnet en Bresse puis nous avons pris la ligne de Bourg ; aujourd'hui nous cantonnons a Meximieux ; c'est à quelques kilomètres d’Ambérieu ; je crois que nous allons y passer quelques jours. Pour vous expliquer ce changement c’est facile ; notre division est entièrement relevée c'est-à-dire 235em ; 242em ; 260em et 244em régiment d'Inf. Il y a bien des chance que ce soit pour partir en Serbie ou aux Dardanelles ; d'ailleurs on en parle fort.

Henri Labelle, Meximieux, le 10 Octobre 1915

Méditerranée

Au moment ou je vous écris je suis en pleine mer Méditerranée nous venons de dépasser l'ile de la Corse ; je vous assure que depuis Dimanche je ne me suis pas embêter de Meximieux nous avons gagné Lyon puis Marseille ; puis nous avons filé sur Toulon ou nous avons embarqué hier soir a bord du paquebot La Savoie. Nous piquons directement sur Salonique en Grèce ; nous y arriverons dans 3 ou 4 jours Je couche à la façon des matelots dans un petit hamac ; je m'endort au bruit des vagues car je n'ai pas du tout le mal de mer Je vous assure que c'est une superbe traversée si j'en reviens je pourrai me vanter d'avoir vu du pays à l'oeil la Belgique l'Alsace la Grèce la Serbie et la Bulgarie ça peut se conter. Car nous allons combattre contre les Bulgares. [...] Maintenant je vais vous raconter notre départ de Meximieux ; jamais je n'ai vue quelque chose de si impressionnant quand le 6em bataillon s’embarquat ; nous eûmes toutes les peines du monde à retenir la foule qui se pressait aux abords de la gare ; les femmes nous bousculaient hurlaient se pendaient au cou de leurs maris s’accrochaient aux portières on ne pouvaient pas les écarter  ; il fallut que l’on renforce ma section qui était de service pour pouvoir maintenir l'ordre

Henri Labelle, Samedi 16 Octobre 1915

J'ai reçu votre lettre ou beau milieu de l'Adriatique ; je ne l'attendais pas je vous remercie du billet de 5F ; j'ai eu de la veine que la lettre ne s'est pas perdue car elle est partie en Alsace puis elle est revenue dans le Midi Dimanche dernier nous avons eu du mauvais temps les hommes ont été malades comme des chiens ils ne faisait que vomir toute la journée ; moi j'ai été aussi indisposé mais je n'ai pas vomi Je crois que nous allons arriver ce soir dans la nuit à Salonique ce n'est pas trop tôt car voila quelques jours on est trop secoué on ne peut rien dormir sur le bateau Depuis hier nous sommes escortés par des contre torpilleurs Le voyage est assez intéressant nous avons longé les côtes d'Italie d’assez près avec les lunettes on voyait très bien les villes ; nous avons doublé une série de petites iles ; parmi lesquels L'ile de Malte ; c’était intéressant a voir. Pour le moment nous sommes dans la mer Egée le but est près d'être atteint. Dans quelques jours je vous raconterai notre débarquement si les Grecs nous ont fait bon accueil. Je m'arrête malgré moi, le navire tangue si fortement qu'il n'y a plus moyen d'écrire

Henri Labelle, dans l’inconnu, le 20 Octobre 1915 235e de ligne, CMR, Secteur 508

Nous sommes débarqués voila 3 jours nous avons coucher 2 jours à Salonique et aujourd'hui nous sommes tout près des Bulgares nous gardons une ligne de chemin de fer ; on s'est déjà battu avant hier ; les zouaves et la légion étrangère leurs ont pris un village ; car ici c'est la guerre en rase campagne et les Bulgares n’ont point d'artillerie. Nous nos 75 sont sur des crêtes et il leurs crache de la mitraille a pleine gueule ; il sont bien obligé de déménager ! Nous campons dans la vallée du Varda ; c’est encaissé entre les montagnes et a perte de vue on ne voit que des montagnes dénudées et rocheuse ; un piéton peut marcher 8 jours avant de rencontrer un village c'est un vrai désert ce n'est pas facile à se battre car il n’y a point de route ; l'artillerie n'est pas transportable ; le ravitaillement ne peut pas arriver et les trois quart du temps nous n'avons rien à manger.

Henri Labelle, Mirli Caput, le 24 Octobre 1915

Le climat ou nous sommes est un peu plus chaud que chez nous ; les arbres ont toutes leurs feuille ; il fait beau temps et au dire des paysans ; nous sommes en plein hiver ; alors je vois qu'il n'est pas rigoureux. Maintenant je vais vous dire deux mots sur les curiosités du pays ; les villages d’alentours sont des villages turcs les hommes ont chacun 2 ou 3 femmes et sitôt quelles nous aperçoivent ; elles mettent devant leurs figures un grand voile noir et elles se sauvent de toute la vitesse de leurs jambes ; c'est tordant ; on voit quelles ne sont pas apprivoisés ; c'est le vrai pays sauvage.

Henri Labelle, Demir Kapu le 28 Octobre 1915

Nous sommes arrivés avant-hier à Kavadar ; c'est à peu près gros comme Seurre mais c'est dégoûtant ; nous sommes logé dans un cimetière ; on fait sécher son linge sur les tombes ; on n'a jamais vu ça ; les habitants sont presque tous des turcs ; ils nous regardent d'un sale oeil ; il ne ferait pas bon s’attarder le soir dans les rues ; on risquerait beaucoup de se faire estourbir. Pour les apprivoiser nous leurs jouons de la musique de temps en temps ; ça les amusent ce qui n'empêche que c'est un sale pays tout de même  ; on n'y trouve rien et ce qu'il y a c'est hors de prix.

Henri Labelle, Kavadar, le 31 Octobre 1915
lettre septembre 1915
carte - lettre de l'espérance

Rien à signaler de particulier sur le front que nous occupons ; quelques coups de canon de temps en temps  ; les obus n'arrivent pas jusqu'à nous. Tous ce que je désirerais avoir ; c'est que vous m'envoyez dans un petit colis du papier à lettre, un crayon de papier du papier à cigarette une savonnette ; c'est tout ce que je vous demande car ici c’est introuvable ; ces pays sont si tellement arriérés. Vous pouvez y envoyer en toute sécurité les colis arrivent très bien ; ils mettent 12 ou 13 jours au maximum pour venir  ; il y a des lettres qui mettent que 10 jours ; ça va encore assez vite. Ailleurs que ça je n'ai besoin de rien du tout ; vu on ne peut rien acheter puisqu'il n'y a rien nous allons dans les villages que pour prendre des poules ou des moutons ; c'est tout ce qu'on peut lui trouver et l'on n'a pas besoin d'argent l'on se sert c’est vite fait

Henri Labelle, Krovno, le 5 Novembre 1915

Deux mots pour vous dire que je suis toujours en bonne santé ; nous sommes en avants postes du côté de Krivolak  ; nous avons eu de forts combats tous ces jours-ci ; les Bulgares ce font faucher comme des épis de blés  ; ils ne savent pas se battre ils chargent à la baïonnette sur nos mitrailleuse leurs régiment fondent comme du sucre mais ils sont plus nombreux que nous ; nous sommes que 2 divisions contre 400.000 Bulgares

Henri Labelle, le 16 Novembre 1915

Après 18 jours d'avants postes nous sommes revenus en arrière à 30 km environ dans un ancien patelin que nous occupions en arrivant ; nous logeont sous nos tentes et je vous assure qu'il n'y fait pas chaud  ; la nuit il gèle à glace. En arrivant j'ai reçu une lettre de mon oncle Jules Catinot ; il se trouve environ à 50 km en arrière dans un patelin qui se nomme guère Guefgueli ; il me dit qu'il fait le ravitaillement  ; je voudrais bien le voir ça me ferait plaisir ; mais c'est trop loin ; il n'y a pas moyen. Je suis tout étonné que l'on envoie de vieux territoriaux si loin ce n'est pas leurs places

Henri Labelle, Demir Kapu, le 23 Novembre 1915

Ce matin nous nous sommes réveillés sous une épaisse couche de neige ; il fait froid ça me rapelle l'hiver de 1870 que je voyais sur des images chez nous. Nous couchons sous nos minces toiles de tentes je vous assure que les murs ne sont pas épais ; néanmoins je n'ai pas eu froid pour venir jusqu'à aujourd'hui  ; il est vrai que je suis rendurci à force de coucher par terre. Ce qui me fait pitié c'est les chevaux il en crèvent tous les jours ils ne peuvent pas résister comme l'homme aux intempéries ; heureusement que nous les remplaçons par des mulets ; c'est beaucoup plus solide et plus dur à la fatigue. À part cela tout va bien ; la carcasse est bonne jusqu'à ce moment il n'y a pas à se plaindre le ravitaillement est arrivé toujours assez régulièrement ; nous sommes bien nourris ; nous avons ¾ de vin par jour.

Henri Labelle, Demir Kapu, le 27 Novembre 1915

Après 17 jours de misères ; je peux enfin vous écrire une longue lettre ; vous avez sans doute trouvé extraordinaire les courtes lettres que je vous ai envoyées tous ces derniers temps que voulez-vous je ne pouvais pas vous en mettre plus long je n’avais pas le temps et je m'estimais heureux de pouvoir vous envoyer deux mots. En voici la cause , depuis le 5 Décembre nous étions aux avants postes ; en contact avec les Bulgares ils nous attaquaient sans cesse jours et nuits avec une furie de lion ; sous le nombre il fallait se replier et reprendre position quelques centaines de mètres plus loin et le lendemain ça recommençait enfin l’ordre arriva de battre en retraite ; il était 11H du soir ; l’on s’était battu désespérément toute la journée ; tout le monde était content car l’on grelottait de froid ; nous marchâmes depuis les 11H du soir jusque au lendemain les 5H du soir sans nous arrêter et sans rien manger ; les hommes ne tenait plus debout. Le soir l’on nous fit coucher dans un petit village à côté de Stroumitsa et le lendemain nous partîmes pour Guefgueli ou j’eu le bonheur de trouver mon oncle Jules qui me donna une boule de pain et 1 boite de singe il y avait 48 H que je n’avais rien dans le ventre ; j’oubliais de vous dire qu’il me donna aussi 1L de vin ; ça ma rudement fait du bien. [...] Maintenant je vais vous conter les souffrances que nous avons endurés pendant notre retraite marchant souvent toute la nuit rien à manger sous des pluies battantes traversant des rivières ou parfois l’eau nous montaient aux cuisses et rien pour se rechanger le linge était mouillé comme s’il avait été dehors rien pour se coucher pas même un brin de paille pour reposer sa tête l’on s’étendait sur la boue pour dormir ; jamais de ma vie je n’ai vécu des heures aussi terribles ; elles seront gravées pour toujours dans ma mémoire comme sur du marbre jamais je ne les oublierai. Quand à vous dire maintenant ou nous allons je n’en sais rien peut-être nous embarquerons pour la France peut-être nous resterons à Salonique je ne sais pas je vous renseignerai plutard.

Henri Labelle, le 19 Décembre 1915

Je vous ai parlé aussi sur mes dernières lettres de cette malheureuse retraite où nous avions passé des rivières dans l’eau jusqu’au ventre ; eh bien tous ceux qui ont restés en arrière ont été punis de prison les caporaux et les sergents ont été cassés ; voila la récompense accordée aux malheureux qui n’ont pas pu suivre la colonne ; c’est bien cela l’armée française.

Henri Labelle, le 25 Décembre 1915