Nous retrouverons dans les pages qui suivent des extraits de la large correspondance du jeune Henri avec ses parents ou sa soeur Suzanne ; un récit truculent restitué "dans le jus" au plus près de sa langue d'origine, coquilles incluses.
Tout d'abord je vous dirai que nous n'avons pas trop mal passé notre nuit du 31 au 1er ; avec tous les colis que les copains avaient reçus et deux gigots de moutons qu'un camarade avait été acheté à Monastir ; nous avons fait un joli petit réveillon ; mais maintenant nous ne sommes pas près dans refaire autant. En tout cas le gouvernement n'a pas été bien chic pour nous cette année il nous a rien donné du tout en plus ; l’année dernière il y avait eu du jambon du champagne et tout de sorte de petites choses mais cette année rien du tout. On voit qu’en France ça commence a manquer de tout ; les rations diminuent surtout en viande et en légumes on en touche presque plus. J'ai entendu dire que l'on parle beaucoup de paix en France mais moi je n'y crois pas ; car tant qu'il y aura ce cochon de Briand à la chambre nous aurons la guerre ; il faudrait une révolution et faire sauter tous ces gros salauds. S'ils sont partisans de la guerre ils n'ont qu’a prendre un fusil et aller manger les fils de fer barbelés devant les tranchées boches. Moi je ne vois que ça. Voilà 29 mois que cette vie dure ; s’il ne veulent pas traiter la paix maintenant ce n'est pas cette année que la guerre va finir l'an prochain nous y serons encore et il n'y aura pas plus d'avance
Henri Labelle, le 1er Janvier 1917
Pour le moment nous ne sommes pas malheureux mais comme nous remontons aux tranchées ce soir ; les colis ne serons pas de trop ; s'ils nous font crever la faim comme la dernière fois. Heureusement cette fois nous avons fait nos provisions ; toutes les boites de conserves que nous avons reçues dans nos colis ; nous les avons gardées pour monter aux tranchées ; parce que si comme la dernière fois ils nous apporte un repas par jour tout froid nous n'aurons pas de quoi attraper d'indigestions. Maintenant je vous enverrai 5F par mois pour vous dédommager des colis si ce n'est pas assez dites le je vous enverrai 10F ; l'argent ne me fait pas faute ; j'aurais des pierres dans mes poches il me servirais autant à part quelques petites choses que nous pouvons acheter à Monastir on ne peux rien avoir les habitants crèvent de faim ; la France est obligée de nourrir la population ; elle leurs fournie de la farine et comme Monastir compte de 65 à 70 000 habitants vous voyez si ca fait des frais. En France tout doit être hors de prix ; je plains ceux qui sont obligés de tout acheter ils ne doivent pas être à la noce. En France les permissions marchent toujours bien mais chez nous elles sont déjà arrêtées ; je vois qu'il ne faut pas y compter
Henri Labelle, le 4 Janvier 1917
Je fais réponse à votre lettre du 28 que j'ai reçue hier soir et j'apprends en même temps l'arrivée du 210e et du 227e. Peut-être viennent-ils pour relever notre division ; ce serait grand temps ; les compagnies sont réduites à 50 60 hommes au plus et nous ne recevons pas de renforts. Voilà 4 mois que l'on nous dis que nous allons être relevés et emmenés en France mais nous sommes comme Ste-Anne nous ne voyons rien venir et nous sommes toujours là. Cependant nous aurions bien droit d’aller quelques peu en arrière nous reformer et aller en permission ; depuis bientôt 15 mois que nous sommes en Serbie nous n'avons jamais eu beaucoup de repos et nous avons bien fait notre part En attendant c’est nous qui sont les poires. Maintenant je serais très heureux aussi que mon père m’écrive un peu de ce qui se passe en France ; tous les jours on entend parler de pourparlers de paix d'armistice ; mais comme nous ne voyons pas de journeaux ; nous sommes ignorants de tout ce qui se passe. Si seulement ce que l'on dit était la réalité tout irait bien mais j'en doute fort. Il paraît aussi que les permissionnaires de l'armée d’Orient ont reçu une fiche en partant sur laquelle était écris « que en cas d'armistice ils devaient rejoindre leurs dépôts » Si tous ces bruits sont fondés c’est qu’en Allemagne ça ne doit plus guère bien marcher
Henri Labelle, le 13 Janvier 1917
Si seulement l’on entrevoyait une fin prochaine ; mais rien ne fait prévoir quelle finira encore cette année au contraire c’est la lutte plus que jamais. Ils nous ont chantonnés des bruits de paix aux oreilles pour nous faire prendre patience mais je crois quelle n’est pas à la veille d’être signée. En plus de cela la faim se fait sentir aussi bien chez le soldat que chez le civil ; aujourd’hui nous avons comme menu ; chacun trois cuillérées de haricots avec un morceau de viande pour notre journée ; vous croyez que c’est une nourriture Peut-être vous croyez que je vous dis des mensonges en vous disant trois cuillérées cependant il n’y en a pas quatre elles sont comptées et je puis vous donner le nom d’un tas de camarades pour vous renseigner ; il vous le diront comme moi : c’est honteux. Heureusement que l’on reçois quelques colis de temps en temps ; sans quoi nous ne serions pas heureux pendant nous avants postes. Vivement la paix afin que nous puissions prendre un peu de tranquillité car tout le monde en a assez de cette vie là. En attendant prenons patience et espérons quand même pour cette année quoi que je n’y compte guère
Henri Labelle, le 19 Janvier 1917
voila bientôt un mois que nous sommes en tranchées et voila 3 jours que la neige couvre la terre ; il n’y fait pas chaud ; nous creusons de petits trous dans la terre pour nous abriter ce qui n’empêche que parfois on se lève avec 30 centimètres de neige sur le ventre.
Henri Labelle, le 23 Janvier 1917
Quand vous me renverrez un colis n’oubliez pas d’y mettre 2m d’amadou afin que j'en aie pour un moment ; nous ne trouvons plus d’allumettes ou nous sommes. Et moi pour allumer ma vieille bouffarde si je n’ai pas de feu je serai diablement embarrassé.
Henri Labelle, le 25 Janvier 1917
Il fait très mauvais temps nous avons de la neige depuis la mi-janvier ; je t’assure qu’il ne fait pas bon coucher dehors. Nous faisons un mois de tranchées avant d’être relevés ; c’est long ; nous sommes plein de poux pleins de crasse c’est dégoûtant ; que veux-tu ce n’est pas en changeant de linge une fois par mois que l’on peux être propre. De tous ceux de chez nous qui sont en Orient depuis le début ; il n’y a guère que moi qui n’est jamais été malade ; si seulement je pouvais attraper une bonne petite blessure ou maladie pour rentrer en France ce serait épatant. Malheureusement je n’aurais pas cette chance. Tu me demandes sur ta carte si je vois des nouveaux ; non je ne sais pas ou ils sont ; pour moi ils doivent être en vieille Grèce à cause des troubles qui s’y sont produits. Je vous remercie aussi du petit colis que j’ai reçu avant hier ; le saucisson est très bon quoiqu’un peu poivré mais comme j’ai la g... farcie ça ne me fait pas peur. Si toute fois vous aviez encore quelque chose semblable au fromage de cochon que j’ai reçu ; ne vous gèné pas pour me l’envoyé ; pour le moment je mange tout ; j’aurais du chien je crois que je le mangerais [...] Au moment où je termine ma lettre j’apprends que nous remontons aux tranchées ce soir ; ça fait que 5 jours de repos et quel repos ; nous allons au travail tous les soirs jusqu’à 11h ou minuit et la journée on nous fait nettoyer les cartouches ou les pièces ; on est jamais un moment tranquille.
Henri Labelle, le 10 Février 1917
Demain soirs nous descendons de nouveau a M... pour 5 jours ; le service est un peu moins dure ; ils se sont sans doute aperçut qu’un mois de tranchées c’était un peu long par le mauvais temps. Aujourd’hui la neige retombe de nouveau à gros flocons ; nous ne pouvons pas avoir cinq ou six jours de beaux temps de suite ? Quand je pense que je serais si bien chez nous au coin du feu à me chauffer les pattes de derrière en lisant le journal et dire que j’ai les arpions gelés malgré mes sauts successifs sur place pour tacher de me les réchauffer ; c’est à dégoutter un ours blancs du pôle Nord. Enfin espérons que le mois de Mars sera meilleur aussi bien en France qu’ici. Plus rien d’intéressant a vous conter pour l’instant ; je vous remercie beaucoup du petit colis ; tout était en bon état.
Henri Labelle, le 22 Février 1917
Aujourd’hui ils ont encore fait un nouvel état pour les permissions ; je suis un des plus anciens après ceux qui n’y sont jamais été ; ce serait en France vous auriez le plaisir de me voir sous peu mais ici il en part un tous les trois ou quatre mois ce n’est pas la peine d’y compter. Si jamais j’avais le bonheur de me voir partir en France pour 21 jours ; j’en deviendrais fou de joie. Je vous assure que ce ne sont pas les sous-marins boches qui me feraient peur et je n’hésiterais pas un instant pour faire la traversée encore ce serait dix fois plus dangereux qu’a présent. Être coulé par une torpille Boche ou avoir la tête enlevée par un obus Bulgare il n’y a pas de différence : pour ceux qui sont en tranchée le risque n’est pas plus grand : « Il n’y a que les embusqués qui craignent. »
Henri Labelle, le 4 Mars 1917
En même temps que ta lettre ; j’ai reçu le petit colis que vous m’avez envoyé ; je n’ai pas encore goûté au lièvre ; mais rien que l’odeur me dit qu’il est bon. Ces jours derniers j’ai reçu une de vos lettres m’annonçant un gros colis par chemin de fer ; je pense qu’il ne tardera pas arriver. On me demande aussi si j’ai assez de pain ; oui pour le pain nous n’avons encore pas à nous plaindre il ne nous rationnent encore pas trop mais c’est sur les légumes et la viande ; les légumes surtout ; il y en a juste pour y goûter.
Henri Labelle, le 13 Mars 1917
Depuis bientôt 22 mois je n’ai pour ainsi dire jamais remis le pied a la maison, ce n’est pas les malheureuses 24h que j’ai eu le 5 Sept 1915 ou j’ai passé à peine 6h chez nous qui m’ont permis de bien vous voir. Enfin espérons qu’un jour moi aussi j’irai vous faire une surprise ; ce soir il part de chez nous 10 permissionnaires ; malheureusement je ne suis pas encore de cette tournée ce sera pour plutard. Quant au capucin lièvre je m’en suis léché les quatres doigts et le pouce et je vous assure que je ne m’attendais pas à en manger de sitôt et venant de si loin.
Henri Labelle, le 15 Mars 1917
Vous avez dû apprendre par les journeaux la prise de la fameuse cote 1248 m ; montagne dont les Bulgares nous tenaient en respect depuis la prise de Monastir ; nous nous l’avons enlevée en deux bonds faisant presque 1000 prisonniers et nombreux matériels. Quand à nos pertes elles sont minimes le bombardement avait tout détruit ; tous les Bulgares valides se sont rendus sans résistance. Je vous assure que quand il faut prendre d’assaut des montagnes de 1248 m de haut ce n’est pas amusant ; sans l’ artillerie nous n’y serions jamais monté. Enfin nous ne nous en sommes encore pas trop mal tiré ; il n’y a pas tant eu de casse que je croyais.
Henri Labelle, le 21 Mars 1917
Comme je vous ai déjà dit ces temps derniers ; vous avez dû voir sur les journaux l’attaque de la crête 1248 m. C’est notre division qui était chargée d’enlever la position ; après un bombardement par des obus de gros calibres qui dura 5 ou 6 jours ; nous avons monté à l’assaut le 16 ; la lutte ne fut pas dure ; les Bulgares a moitié fou par le bombardement se rendaient en grand nombre en criant : « Dobro Françouze » ce qui veut dire : « Bon camarades Français » le nombre des prisonniers se monte aujourd’hui à plus de 1400. En plus de cela nous avons pris une quantité de mitrailleuses et de munitions. C’est un beau coup pour le peu de perte que l’on a eut. Moi des attaques comme cela ça ne me fait pas peur ; on y va l’arme à la bretelle ; l’artillerie à tout bouleversé. À présent je change de sujet ; je fais toutes mes félicitations à celle qui a confectionné le pâté de lapin ; il était excellent ; quant au lard j’en fait griller une tranche tous les jours et avec la graisse je me fais de bonnes tartines ; pour moi c’est un vrai gueuleton. Sur votre dernière lettre vous me dites que l’on va vous donner sous peu des cartes de pains ; mais je pense bien que pour ceux qui le font eux-mêmes ils ne seront pas soumis aux mêmes tarifs que les autres. Vous par exemple vous allez bien vous débrouiller pour garder votre bonne provision de blé ce n’est pas ces Messieurs qui iront dans votre grenier pour contrôler si vous avez juste votre compte ; se serait malheureux.
Henri Labelle, le 26 Mars 1917
[...] Croyez-vous que nous ne souffrons pas aussi nous ; tantôt de la faim tantôt de la soif et des mille misères que l’on endure en plus de cela ; notre vie est à chaque minute en danger. Je pense que c’est déjà beaucoup. Ne savez-vous pas qu’il faut avoir un tempérament d’acier pour résister aux maladies. À ma section nous ne restons que deux depuis le début et ça sur 40 hommes ; jugez du reste. Enfin moi je ne me plainds pas, je n’ai encore pas eu une minute de maladie ; je me porte toujours assez bien ; mais ça ne durera pas toujours.
Je profite de cette belle journée de Pâques pour vous écrire deux mots ; il fait un beau soleil un temps superbe ; c’est tout juste bon pour attraper le cafard. Nous sommes aux avants-postes dans un petit ravin bien tranquille mais il ne faut pas montrer son groin ou gare aux marmites ; les Bulgares n’en sont pas chiches. À part ca ils ne sont pas méchants depuis notre dernière randonnée sur leurs tranchées ; ils se tiennent à carreau. En sommes tout va bien mais je préférerais passer les fêtes de Pâques à la maison que dans un ravin. Je vous avais dit aussi que quelques jours avant d’attaquer on avait nommé 10 permissionnaires ; mais les pauvres gars sont encore ici et malheureusement quelques uns manquent à l’appel les autres on ne parle plus de les faire partir. C’est pour vous dire qu’ils ne veulent pas en envoyer du tout. J’ai appris aussi l’avance française en Picardie ; les Boches battent en retraite sans accepter le combat ; c’est bien tant mieux s’il pouvaient aller comme cela jusqu’à Berlin les nôtres n’auraient pas de pertes. Tous ça ne fait pas finir la guerre et je crois que ce n’est pas cette année que nous verrons la fin à moins que les Boches nous réserve une surprise ce qui ne serait pas dommage. D’après les journeaux je vois qu’en France le civil est toujours plein de courage ; il discute les péripéties de la guerre le dos au feu et le ventre a table ; en un mot il les tient mais de loin. Son grand plaisir c’est de voir les en tête de journeaux barrés par des phrases telle que : « On les aura ou on les tiens : » Il se grise sur les mots mais il ne voit pas les résultats ; s’il savait ce que coûte en homme une offensive il en tremblerait comme une feuille. Enfin ces gens-là sont à pardonner parce qu’ils ne savent pas ; a la guerre actuelle il faut voir pour croire.
Henri Labelle, le 8 Avril 1917