collage d'une Pensée

Mille et un jours...

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Tranchées - chapitre 2/12

Les tribulations d'un cafard durant la première guerre mondiale.

Nous retrouverons dans les pages qui suivent des extraits de la large correspondance du jeune Henri avec ses parents ou sa soeur Suzanne ; un récit truculent restitué "dans le jus" au plus près de sa langue d'origine, coquilles incluses.

Tranchées

tous les types de la classe 1914 qui étaient restés au Valdahon sont arrivés la veille du jour de l'an ; on a reformé les sections on changés les cuisiniers on est nourris comme des chiens ; pour le jour de l'an on nous a donné un demi quart de boule chacun il n'y en avait pas pour le souper d'un chat et la viande été encore vivante on aurait fait du boudin avec le sang qui sortait de dedans les pommes de terre était toutes brûlées ; c'était dégoûtant on a fait un potin du diable si bien qu'on a rechanger les cuisiniers mais ceux si s'était encore pire des vrais goujats quoi. On était trop bien nourris les premiers temps que nous étions à Besançon je savais bien que ça ne voulais pas durer.

Henri Labelle, Besançon, le 03 Janvier 1915

Nous partons demain sur le front ; nous ne savons pas où. Nous sommes au 32e régiment d’infanterie on nous a changer de régiment on part 60 Ce matin on a toucher les cartouches et tout le tremblement ; on ne m’écrirez pas avant que je vous aie donné mon adresse ; pour le moment je ne la sait pas. On nous a donné des gants des tricots des ceintures de flanelles des cache-nez tout ce qu’il faut nous sommes chargé comme des mulets

Henri Labelle, Besançon, le 12 Janvier 1915

Vous ne devineriez jamais ou je suis ; nous venons d’arriver à Dunkerque Nous sommes partis de Besançon hier matin et voici l’itinéraire ou nous avons passé. Dole Auxonne Dijon Tonnerre Joigny Sens Melun Fontainebleau Le Bourget près de Paris Amiens Abbeville Calais et Dunkerque ; j’ai vu la mer du Nord Moi qui aurait aimer voir du pays je crois que j’ai trouver le filon et maintenant je crois que nous allons en Belgique autour d’Ypres En passant a Abbeville j’ai vu les Anglais ils ont l’air de bon soldats ; j’ai vus aussi les Hindous ils sont épatants et les Turcos nous étions dans le même train qu’eux Je vous promet que la distraction ne manque pas on est heureux dans les gares on nous donne tout de sortes de choses du thé du café du rhum des confitures. J’ai vu le port de Dunkerque et les transatlantiques il y a de rudes bâtiments. Il y a quelque mois un qui m’aurait dit que j’irais voir la mer du Nord je ne l’aurai jamais cru.

Henri Labelle, Dunkerque, le 14 Janvier 1915

Nous sommes arrivés avant hier soir a destination ; notre arrivé a été saluée a coup de canons par les Bôches. Pour le moment nous en sommes à 800 m ; la journée nous allons faire des tranchées à 400 m des Bôches  ; ils nous envoient des obus a la douzaine la terre vole de tous les côté ca creuse des trous on y enterrerait un cheval ; en venant nous avons passés dans Ypres c’est tout ravagé les maisons sont démolies brulées il ne reste rien ; ce n’est pas beau a avoir Nous couchons dans des baraques en bois il pleut comme dehors il n’y a point de paille et beaucoup de boue on nous bombarde toute la nuit les obus éclate de toutes part et on s’endort en musique ; avec le temps on s’habitue à tout Si seulement il faisait beau temps mais il pleut sans discontinuer on est dans la boue jusqu’au genoux On n’est pas mal nourris c’est bien fait mais il y en a guère juste pour ne pas mourir faim C’est la guerre on le voit Demain nous allons passer en première ligne pour 4 jours et après nous serons 4 jours en deuxième ainsi de suite

Henri Labelle, Dans la tranchée, le 21 Janvier 1915

Après avoir passé 4 jours en 1er ligne face aux Pruscots ; je profite que nous sommes en repos vous donner de mes nouvelles qui ne sont pas mauvaises pour le moment ; mais je l’ai échappé belle ; avant hier nous étions en petit poste à 80 m des Boches ; nos 75 commençaient a cracher sur leurs tranchée quand tout a coup soit que la pièce fut mal pointée ou que le tir fut déréglé un obus français un de nos fameux 75 tomba en plein sur notre tranchée un sergent et un caporal furent fauchés nets tués sur le coup moi a moitié assommé je fut ensevelis dans la terre jusqu’au cou ; mais je n’eut pas le moindre mal heureusement Pour le moment nous sommes en repos en 3em ligne nous allons être tranquille un moment car je vous assure que ce n’est pas le rêve d’être en 1er ligne l’on est pendant 4 jours dans l’eau et la boue jusque au genou jour et nuit arrosé par les obus et les balles et comme l’autre jour que l’obus nous a tombés dessus mettant en mille morceau notre dîner nous sommes resté toute la journée sans rien manger ; on avait juste notre quart de jus dans le ventre pour attendre les 7h du soir qu’on vienne nous relever En Belgique le vin vaut 2F la bouteille le chocolat 27 sous la tablette tout est hors de prix le fromage 10F le kilog.

Henri Labelle, le 27 Janvier 1915

Nous logeons dans un bois ; mais on ne le dirais guère ; il n’y a plus d’arbres des foyards gros comme les marronniers de Mr de Saint-Jacques sont coupés à ras du sol par les obus ça fait des trous on peut y enterrer 4 ou 5 chevaux ; j’ai vu un trou fait par leurs fameux mortier de 420 ; celui la on peut y mettre trois autobus de front et ils ne seront pas gênés ; il n’y a pas besoin de demander quand ça tombe sur un homme si ca le met en saucisson. Quand vous me renverrai un colis vous y mettrez mon rasoir ; il me servira bien car on ramasse des favoris de 5 centimètres de long

Henri Labelle, le 17 Février 1915

De ce moment, nous sommes en repos dans une ville de Belgique que vous connaissez tous mais dont je ne vais pas vous dire le nom puisque c’est expressément défendu. On a pas même le droit d’envoyer des vues du pays sous peine de prison. Enfin il y a des moments que l’on rigole quand même avec ces diables d’Anglais  ; je vous promets qu’il y a des soirs que l’on ne s’ennuie pas seulement on a de la misère pour se comprendre. C’est dommage qu’il faut reprendre les 1ere lignes ce soir.

Henri Labelle, le 03 Mars 1915

Hôpital

Figurez-vous qu'à force d'être fourrer en terre comme les taupes j'ai attrapé la jaunisse ; alors je me suis fait porter malade et il m’ont mis 1 journée à l’infirmerie ; puis il m’ont évacué le lendemain ; nous sommes arrivés à Dunkerque ce matin je suis à l'hôpital Fénelon Le major m'a dit que j'en avais bien pour 1 mois et peut-être plus.

Henri Labelle, Dunkerque, le 11 Mars 1915 32e de ligne , Hopital Complémentaire N°12

Vous devez sans doute avoir reçu la carte avertissement du major ; vous disant que j'étais en traitement a l'hôpital N° 12 au Hâvre ; c'est l'habitude maintenant chaque fois qu'un malade entre dans un hôpital ils préviennent les parents ou la famille. Sur la carte on dit que c'est avec l’assentiment du malade  ; mais ce n'est pas vrai ils vous donne la carte et vous disent ; vous allez me remplir ca. On est très bien dans cet hôpital on est soigné par des petites infirmières de la Croix-Rouge de 18 à vingt ans ; elle ne savent que faire pour nous faire plaisir on est servit au lit ; moi je crois millionnaire.

Henri Labelle, le Hâvre, le 18 Mars 1915

Enfin comme je suis soigné maintenant ; j'attendrais bien la fin de la guerre. Si on nous laissais sortir j'irais voir le port nous en sommes à 10 minutes à chaque instant on entend hurler les sirênes des transatlantiques qui rentrent au port ; il y a aussi des torpilleurs en rade ca serais beau à voir. Aujourd'hui ceux qui sortent on va les mener au théâtre voyez qu'il y a de la distraction à l'hôpital et tous les 15 jours il y a concerts de 3H à 5H dans la cour de l'hôpital. Les tantôts il vient des dames de la ville nous voir ; elles nous apportent des biscuits des cigares des cigarettes moi j'en ai ramassé plein un sac  ; quand j'irai chez nous si mon papa fume toujours il pourra ce payer tant qu'il voudra des cigarettes toutes faites ; moi depuis que je suis comme ça je ne peux plus fumer

Henri Labelle, le Hâvre, le 28 Mars 1915

Pourvu que j'aille vous voir dans quelques temps je me moque du reste car savez-vous qu'il y aura 7 mois le 5 avril prochain que j'ai quitter la maison ; ça passe et il me semble maintenant que je n'ai jamais été chez nous que j'ai toujours mené cette vie de romanichels ; c’est curieux comme on s'y fait ; s'il avait fallut dans le civil passer dans les sauces que j'ai passées en campagne il y a longtemps que je serais mort. Mais dans la vie militaire on est dur comme du roc ; un exemple la dernière fois que nous étions aux tranchées nous avons passés 2 jours et une nuit en petit poste dans un trou d'obus les pieds dans l'eau et dans la boue au genoux une pluie battante ; les obus tombants comme la grêle rien à manger car nous étions à 40m en avants des tranchées et il fallait y aller a découvert néanmoins nous avons fait prévenir le lieutenant que la position était intenable il nous a fait répondre ; Il faut tenir quand même. Nous étions trois hommes et un caporal ; lui qui était un vieux de la vieille nous a dit c'est la plus terribles journée que j'ai passé depuis que je suis en campagne. En effet couvert de terre par les obus qui creusaient des trous à quatre ou cinq mêtres de nous les éclats nous siflaient aux oreilles il fallait avoir la tête entre ses jambes si on avait envie de la conserver sur ses épaules ; et rien pour nous protéger. Je ne vous ai jamais parler de mes aventures sur mes lettres car je vous savais assez en souci ; il n'y avait pas de danger que je vous mette la mort au coeur par les choses terribles que l'on voit à chaque instants sous ses yeux.

Henri Labelle, le Hâvre, le 1er Avril 1915
lettre manuscrite juillet 1915
lettre juillet 1915

Il paraît que Jérôme est tout joyeux de partir soldat ; d'après ce que tu m'écris ; moi aussi j’y suis parti toujours chantant ; et il n'y avait pas deux jours que j'y étais que j'aurais bien donné je ne sais quoi pour retourner chez nous ; il est vrai que je n'ai pas eu de chance j'ai toujours coucher sur la paille et je ne sais encore pas ce que c'est qu'une caserne après 7 mois de services ; tandis que lui il couchera dans un bon lit et dans une belle caserne. Je les ai visitées les casernes du 60em du temps que j'étais à Besançon et qu'il y avait Justin Poulet ; c'est tout éclairer à l'électricité.

Henri Labelle, le Hâvre, le 3 Avril 1915

Je vous ai envoyé une carte l'autre jour vous disant que je croyais bien que j'allais attraper les oreillons  ; eh bien je ne m'étais pas trompé je les ai ramassés dans les grandes largeur ; j’ai la tête comme une courge ; des joues comme les fesses d'un pauvre homme ; je suis encapitonné comme un vagon de 1er classe sourd comme un pôt et pour ouvrir la bouche ça n'est pas une petite affaire une fois que c'est dégourdi ça va mieux mais quand je mange du pain les mâchoires me font diablement mal. Vous avouerez que c'est la guigne quand même ; sitôt une maladie de passée j'en pince une autre ; si ça continue je suis fichu d'attraper la peste ; avec cette saleté là ; j'ai au moins encore pour 20 jours d’hopital si ce n'est pas plus

Henri Labelle, le Hâvre, le 12 Avril 1915

Au Hâvre Il fait toujours un temps superbe un beau soleil les rues sont pleines de passants d’automobiles de tramway on ne dirait pas que c'est la guerre. D'après les journaux il y a du bon ça marche bien pour le moment nous sommes supérieur partout, nous avancons tout doucement ; mais en perdant beaucoup d’hommes malheureusement ; comme à la prises des Eparges. Il n'y a point de feu sans fumée ni de batailles sans morts. Si seulement ça finissait bientôt cette guerre tous le monde n'en serait pas fâché car on en a assez et des deux côté c'est bien la même chose.

Henri Labelle, le Hâvre, le 21 Avril 1915

J'ai les yeux toujours jaune ; tant qu'ils seront comme ça je ne sortirai pas de l'hôpital et je ne suis pas fort comme j'étais ; il faut bien remonter un peu et puis j'ai le temps vous savez je ne suis pas pressé d'après les combats qui ce sont livrés en Belgique ; j'ai eu une rude veine de ne pas y être ; en ce moment je serais peut-être bien asphyxie et ou abattu par les balles boches car c’est en plein ou était mon régiment que se sont déroulés les terribles combats de ces jours dernier et maintenant il faut reprendre le terrain perdu au prix d’énormes sacrifices. [...] voila plus de 8 mois que je ne vous ai pas vu, je serai très heureux d'aller passer quelques jours chez nous pour vous aider un peu ; car je suis sûr que ce n'est pas l'ouvrage qui vous manque maintenant et il en restera peut-être beaucoup a faire.

Henri Labelle, le Hâvre, le 2 Mai 1915

Il est encore arrivé beaucoup de blessés avant-hier ; ils nous disaient que si ca continuait à marcher comme ces temps derniers la guerre serait bientôt finie ; car il n'y aurait plus d'homme des deux côtés ; preuve qu'il en tombe beaucoup. C'est pauvres malheureux sont massacrés il y a un marocain dans ma chambre il a reçut cinq balles dans l'épaule sûrement il s'est trouvé dans une rafale de mitrailleuse sans quoi il n'aurait pas reçut 5 balles dans la peau d'un seul coup ; il y en a un autre marocain aussi il a reçut une explosive dans la cuisse ; il a un trou comme le poing ils hurlent les matin quand on les pansent.

Henri Labelle, le Hâvre, le 20 Mai 1915