Georges dans les tranchées

Mille et un jours...

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Verdun - chapitre 6/11

Nous retrouverons dans les pages qui suivent de larges extraits de la volumineuse correspondance de notre arrière-grand-père durant le premier conflit mondial.

Les protagonistes

Léon Renaud dit Georges (1885 † 1919)
Mathilde Valentine Renaud dite Louise (1892 † 1971)
André Louis Renaud dit Dédé ou la grosse cocotte (1913 † 1981)

À l'exercice

Je m’empresse de te tracer quelques lignes pendant mes tout petits instants de repos que nous avons à pareille heure. Ce matin réveil à trois heures il faisait à peine jour car le temps était très sombre je craignais même un moment que nous ayons la pluie départ pour l’exercice quatre heures je t’assure que nos chefs ne nous y amusent pas et cela dure pendant six heures consécutives je rentrerais donc à dix heures pour manger la soupe car depuis longtemps le quart de jus étais loin […] comme nous étions dans des blés qui me passaient par-dessus la tête tu vois d’ici dans quel état je me trouvais sans doute la chose te semblera étrange et c’est cependant la vérité mais moi-même j’en étais navré je ne pouvais croire à stupidité pareille à quoi bon semer de la marchandise tous dont nous avons tant besoin pour la dévaster aux propriétaires quelques journée avant la récolte car il faut que je te dise que nous n’avons rien respecté et j’ai fait l’estimation à mon idée mais je n’ose te le marquer tu ne le croirais pas car une telle fortune gaspillée en si peu de temps te ferais peur enfin il faut bien faire la guerre jusqu’au bout voilà pour la matinée mais ce n’est pas fini à une heure théorie par le Cdt de Compagnie tout le monde présent comme à l’exercice d’ailleurs moi comme les autres ce qui entre autre ne m’intéresse pas du tout mais il faut bien m’y conformer à deux heures nouvel exercice je n’y serai toutefois pas longtemps car à trois heures je dois toucher mes lettres donc tu en jugeras mais j’estime que la journée est bien employée je ne sais pas si ce sera considéré comme du repos je le crains bien.
Il est bien dommage que je sois ainsi pris constamment toute la journée je serais si heureux de pouvoir vivre tranquille dans ce tout petit pays très élevé permettant de découvrir d’au moins 25 km c’est-à-dire jusqu’à la chaîne des Vosges c’est un panorama superbe et dont j’éprouverais tant de plaisir à te décrire mes impressions malheureusement je n’ai pas le droit de le faire et encore moins le droit.
Je suis toujours sans argent il est vrai que je n’en souffre pas car dans ce petit pays à part quelques bouteilles de bière impossible de trouver autre chose je n’ai pas de tabac non plus depuis deux jours c’est surtout cela le plus pénible mais la guerre fait bien souffrir enfin j’espère cependant toucher mon prêt ce soir.

Georges Renaud, Dimanche 11 heures le 2 juillet 1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

J’ai cependant entré en possession de mon prêt hier soir ce n’était pas dommage le temps commençait à me parraitre bien long j’ai touché avec mon indemnité de permission la somme de quarante francs somme qui n’est pas à dédaigner surtout quand depuis plusieurs jours on a pas le moindre sous en poche tout cela vois-tu mon trésor est bien pénible. J’ai également pû me procurer du tabac deux paquets vendu à raison de 0,60 le paquet peu importe le prix la privation fut trop longue et tu ne peux savoir avec quelle joie j’ai fumé la première cigarette reste à savoir quand je pourrai m’en procurer.

Georges Renaud, Mardi 11 heures le 4 juillet 1916

Ce matin encore j’ai pû je ne sais trop comment me sauver de l’exercice je vais donc en profiter pour faire une lettre. Je suis installé sur une grande table qui nous sert aussi à manger la soupe elle est plane sous de grands arbres au milieu d’un pré à quelques mètres seulement du village j’y serais donc très bien pour me plonger dans d’agréables rêveries mais je crois avoir le cerveau complètement vide.
Le ciel est toujours très sombre toutefois il ne pleut pas c’est le principal mais il ne fait pas chaud on se croirait presque à la fin septembre à ma gauche ma compagnie manœuvre j’en entend parfaitement les commandements mais je ne suis pas appercu car une grande haie nous sépare dans la même direction le canon fait rage quoique cependant assez éloigné j’entend très bien mais je ne puis pas me rendre compte si c’est notre artillerie ou bien celle des boches je pencherais plutôt pour la première mais je te promet qu’il ne doit pas y faire bon ce n’est qu’un roulement continu. De temps à autre notre avion vient me survoler à une faible hauteur je pense qu’il manœuvre avec un régiment comme il devait le faire hier avec nous mais comme il a plut toute la journée il ne pût sortir de son hangard.

Georges Renaud, Mardi 9 heures du matin le 6 juillet 1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

Une petite carte pour ne pas te laisser sans nouvelles je ne sais trop à qui je vais la confier car je me trouve pour l’instant perdu milieu d’un bois ou j’ai passé la nuit depuis longtemps je n’avais aussi bien dormi pense un peu se sentir à l’abri de la mitraille quel réconfort pour celui qui à tant souffert. Je pense m’éloigner complètement dans le courant de la journée de ce coin si terrible et dont je garde un si mauvais souvenir sans doute ce sera en autos gare la poussière enfin j’espère que nous tomberons dans un pays où nous pourrons nous ravitailler ce qui ne sera pas regrettable depuis assez longtemps je bois de l’eau et ne mange rien pour ainsi dire je viens pourtant de trouver un paquet de tabac je le trouve bon je t’assure.

Georges Renaud, Le 8 – 7 – 1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

je n’ai pas marché ce matin remarque que je suis loin d’en être mécontent mais bien au contraire l’exercice me parrait vraiment si stupide que je ne puis pas m’y remettre. J’ai donc fait ce matin la grâce matinée comme un grand parresseux que je suis que veux c’est à peu près tout ce que j’ai de bon à huit je me levais j’ai fais une bonne toilette dans une eau qui ressemble à de l’eau de fumier certes ce n’est pas propre mais il n’y en a d’autre que pour boire et encore il faut la faire bouillir enfin l’essentiel est ne pas être trop sâle comme la soupe n’est pas prête il est vrai qu’il n’est pas encore dix heures je vais finir ma lettre en l’attendant et je crois que je lui ferai bonne fête car je me sens grand faim. Menu nouilles au lard et mouton roti depuis quelques temps nous ne mangeons plus de boeuf cela ne change un peu après ce repas je boirai une bouteille de bière car le vin nous est pas distribué à profusion.

Georges Renaud, Lundi 3 heures du soir le 10 juillet 1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

Ce matin revu du commandant par conséquent pris toute la matinée le menu était le même sauf une bouteille de champagne pour quatre et quelques biscuits. Donc pour célébrer la fête jusqu’au bout je suis allé boire une bouteille de bière lorsque le César est arrivé m’apportant mon colis je ne l’ai même pas déballé je ne puis pas te remercier du contenu mais mille baisers en attendant.
Tu diras à Eglantine que le César passera sa journée près de moi et que demain de bonne heure nous partirons pour une destination toujours inconnue.

Georges Renaud, Le 14 juillet 1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

Nous avons passés la soirée ensemble en mangeant nos colis comme des gourmands que veux-tu ma chérie nous partions dans la nuit nous ne pouvions donc pas nous en charger nous les avons bien arrosés tant et si bien nous étions à peu près tous gris mais cela nous étais permis le plus embêtant il fallait marcher ce matin et je ne me sentais pas très bien j’étais donc bien fatigué. Départ à 3 heures pour arriver à 10 H nous avons fait environ vingt cinq kilomètres la chaleur à cette heure était torride enfin n’ayant pas de sac je m’en suis tiré tout de même mais il était temps que j’arrive je me serais trouvé mal un bon litre de lait bien frais me fit du bien et je vais aller me reposer jusqu’à la soupe. Nous devons repartir cette nuit encore je ne sais pas à quelle heure ni quelle direction nous prendrons mais l’étape sera certainement très longue puisque nous revenons sur nos pas je ne comprend plus du tout.

Georges Renaud, Le 15 juillet 1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

Plus que jamais je sens combien ton affection me manque parfois et malgré moi il m’arrive que pendant la marche étant à ce moment livré tout entier à pensée alors les larmes coulent et impossible à moi de les refouler ainsi une preuve Samedi en venant de faire vingt kilomètres je ne sais pourquoi j’avais été très triste tout le temps de la marche en arrivant au cantonnement je n’eu pas le temps de me déséquipé je me suis raidi comme une bare et je m’évanoui pendant quelques minutes mais je fus malade tout le reste de la journée heureusement j’ai trouvé du lait ce qui me fit beaucoup de bien et le lendemain je repartais pour une marche plus longue encore. Je ne t’avais parlé de rien jusqu’ici de peur de te faire du mauvais sang d’ailleurs maintenant je vais bien sauf mes genoux qui me font toujours horriblement souffrir la nuit mais cela n’est qu’un petit détail.
Hier j’ai fait beaucoup de chemin d’abord à pieds par une chaleur accablante quoique pas de soleil puis j’ai embarqué dans les autos à proximité d’où Clave est allé faire un stage j’espère que tu t’en souviens sinon demande le à sa famille. Actuellement je suis revenu à peu près au même endroit à quelque chose près mais en pays qui jusqu’ici ne nous était pas famillier. Combien de temps y resterons nous je l’ignore sans doute pas longtemps du moins je le crains puis ensuite où nous dirigerons nous fatalement dans la fournaise mais laquelle je me le demande et je ne puis m’en rendre compte mais j’en préférais une je ne demande pas d’y aller mais vaudrais mieux la qu’ailleurs enfin espérons que tout ira bien et que bientôt nous pourrons nous réunir pour toujours.

Georges Renaud, Mardi 8 heures du matin le 18 juillet 1916

Je viens de me lever il y a quelques instants tout le monde est parti à l’exercice comme tu le vois j’ai pû m’en tiré ce matin encore mais quelle comédie il me faut jouer et hier je n’avais pû y parvenir tu pourras te rendre compte ma chérie que nous ne sommes pas longtemps sans rien faire même après les grande fatigues. Une fois lever je me suis bien lavé car on est si heureux quand on a de l’eau à volonté pour le faire mais par malheur cela n’arrive pas souvent.
Il fait ce matin un temps superbe très frais ce qui me pousse à croire qu’il fera très chaud il serait à souhaiter que cela continue tant pour vous qu’en raison des opérations car tous ceux qui se battent pour le moment doivent bien souffrir par ce temps de pluie je suis assis dans une petite grange chez un employé de la gare. Ceci dans pays assez gentil et d’une certaine importance car je remarque que nous y sommes très nombreux trop même car on y rencontre maintenant certaines difficultés pour se ravitailler enfin passons puisque l’habitude est une seconde nature. Ce village est arrosé par une rivière dont je ne connais pas le nom moi je l’appelle le torrent peu importe le reste elle descend avec une rapidité vertigineuse d’une montagne très élevée quoique le sommet n’est qu’à quelques centaines de mètres du village sur cette montagne une vierge semble nous protéger je ne puis mieux te comparer ce coin de paysage qu’à Notre Dame d’Etang que tu connais. Hier pendant l’exercice j’en ai fait l’ascension mais la pente en est si rapide que ce fut très pénible d’y manœuvrer mais plus encore quand il fallut redescendre je craignais à chaque instant de tomber et de rouler dans le torrent qui se trouve juste aux pieds et qui est très profond c’est que je ne tiendrais pas du tout de me noyer.
Les gens de ce pays ne vallent pas cher ils ne pensent qu’à vendre le double de ce qu’elle vaut la marchandise qu’ils mettent à notre disposition j’ai payé hier deux mauvais papiers à cigarettes cinq sous je les connais cependant ces gens mais cela me parrait étrange en comparaison de ceux que nous venons de quitter ceux là cherchaient au moins à nous faire plaisir et ils avaient pourtant moins de facilité de le faire qu’ici comme je maudirai ces gens-là qui ne pense qu’à s’enrichir au dépent du pauvre soldat.

Georges Renaud, Jeudi 7 heures du matin le 20 juillet 1916

Pardonne-moi si je ne t’ai pas écris hier nous sommes parti de très bonne heure le matin mais nous étions prévenu depuis la veille à neuf heure du soir la nuit fut donc pour ainsi dire sans repos la marche qui elle était assez longue vingt cinq kilomètres environ fut assez pénible d’autant plus que nous marchions par une chaleur accablante sur une grande route très dure comme j’ai les pieds toujours sensibles je peinais beaucoup car je portais mon sac nous étions couverts de poussière et le soleil dardant ses rayons sur cette route blanche avec la sueur qui coulait nous cuisait les yeux en arrivant au cantonnement il fallut défiler baionnette au canon et voilà trois fois coup sur coup que ma compagnie à la garde du drapeau pourquoi je l’ignore en tout cas ce n’est pas amusant pour nous.
Les cuisines roulantes nous suivent constamment ayant préparé la soupe en cours de route donc nous avons puent la manger aussitôt le sac par terre mais pour mon compte je n’avais pas grand appétit car quoique m’étant avant de partir muni d’un bidon de vin je souffrais de la soif mais je me sentais surtout fatigué je pris seulement un peu de bouillon et je montai me reposer jusqu’à cinq heures c’est-à-dire jusqu’à la soupe mais le soir l’appétit s’étant fait sentir je mangeai de fort bon cœur puis une petite promenade me permi de rencontrer tous mes compatriotes tous sans exception nous avons donc fini la soirée ensemble en buvant quelques bouteilles de bière. Depuis bien longtemps tout le régiment ne s’était trouvé réuni.
Aujourd’hui à peu près repos une petite revue ce matin et c’est tout j’ai donc fait grâce matinée jusqu’à huit heures j’en avais grand besoin il faudrait même quelques jours ce qui certainement ne sera pas ce serait vois-tu trop beau surtout que depuis un mois nous n'avons pas entendu le canon je crains fort que nous n’ayons à le payer fort cher même mais mon étoile comme toujours veillera.
Je ne vois plus grand-chose à te dire aujourd’hui je suis en bonne santé il parraît même que je suis très gras je souhaite que vous soyez tous de même.

Georges Renaud, Samedi 12 heures le 22 juillet 1916

V.

Il est cinq heures du soir et j’arrive seulement au cantonnement quoique étant parti depuis le jour j’ai voyagé ainsi tout le jour tant en autos qu’à pied par une chaleur torride et je t’assure que j’ai mangé de la poussière temps que j’ai voulu je me sens même avoir très mal à l’estomac en un mot je suis fatigué et je ne pense pas pouvoir me reposer cette nuit encore car je suis bien prêt du front enfin ne t’inquiète pas trop ma chérie si tu es plusieurs jours sans recevoir de nouvelles car je suis à peu près certain que je ne pourrai pas écrire ou bien alors que mes lettres ne partirons pas pour la bonne raison qu’on ne peut pas les descendre enfin j’espère m’en tirer cette fois encore.

Georges Renaud, 23-7-1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

[…] rassurez vous je m’en suis tiré cette fois encore il est vrai que ce n’est pas la faute des boches mais Dieu veillait et a permis que je ne sois pas touché j’espère qu’il en sera toujours ainsi remercier le donc bien. Je dois donc vous avouer avoir souffert un peu de tout de la faim surtout de la soif et ce pauvre tabac lui aussi se faisait bien désirer mais autre chose était plus terrible encore je ne puis hélas vous l’expliquer et à moi un peu de repos me permettra de l’oublier du moins momentanément.

Georges Renaud, Le 5-8-1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

J’aurai voulu aujourd’hui te faire une lettre car j’ai tant de choses à te dire mais pris mot je n’en ai pas le courage n’ayant pas encore eu le temps de rassembler mes idées qui je te le jure sont toutes à l’envers et puis autre chose je n’ai pas de papier sur moi étant monté en ligne sans le sac j’étais bien déjà trop chargé du reste je m’étais donc défait de tout ce que j’avais pû si bien que ce matin je ne suis pas encore rentré en possession de ce sac sans doute ce sera pour ce soir ou peut-être jamais car il est fort probable qu’il se trouve perdu enfin l’essentiel est que je te donne signe de vie depuis bien longtemps Tu te demande ma chérie si je ne suis pas mort non pas cette fois encore les boches n’ont pû me tuer en tout cas ce n’est pas leur faute moi j’ai abattu tous ceux que j’ai pû et la denrée ne manquait pas. Me voici donc au repos je pense pour quelques jours j’en ai bien besoin je suis presque à bout de forces tant je suis fatigué je ne sais si nous ne recommencerons pas la vie de ces temps derniers ce qui ne nous souri guère je te raconterai tout cela petit à petit. Aucune nouvelle depuis le 26 juillet je commence à trouver le temps long enfin en attendant je vous embrasse tous bien fort. Que fais donc mon petit homme je voudrais bien le voir.

"lettre à ses parents" Georges Renaud, Le 5 août 1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

figure toi que depuis le vingt trois personne ne s’est occupé de mon service à part quelques lettres qui nous furent montés en lignes il me restait donc à distribuer tous les colis deux grandes musettes de lettres toucher mes mandats les payer faire signer chaque homme retourner toutes les lettres des tués et évacués enfin depuis hier trois heures je suis après et je suis loin d’avoir fini ce qui m’ennuie beaucoup car je voudrais te parler de tout ce que j’ai souffert et de quelle façon de tout ce que j’ai sur le cœur et qui encore à l’heure actuelle m’étouffe et je suis cependant bien heureux de m’en être tirer à si bon compte aussi je ne manque pas d’en remercier le Bon Dieu j’espère que de ton côté tu feras de même.
Je suis donc au repos mais toujours à côté de l’enfer j’entends toujours le canon qui fait rage je t’assure même que j’ai eu de la chance de desandre hier car il n’y faisait pas bon. Nous sommes dans un pays où il ne reste personne donc rien à boire ni à manger pas de tabac ni gros ni fin.

Georges Renaud, Dimanche 3 heures le 6 août 1916

Je t’entretiendrai donc aujourd’hui ma chérie de ce que j’ai dû endurer pendant cette période de tranchée je ne pourrai pas certes te le détailler comme si j’étais près de toi mais je te parlerai du principal. J’arrive à V. le 28 au soir exténué de fatigue car nous avons marchés par une chaleur torride nous devions monter en ligne quelques heures plus tard mais il fallut attendre au lendemain car nous étions trop fatigués j’avais donc eù le temps de me rendre un peu compte de ce qui pouvait se passer derrière la montagne c’est donc bien ennuyé mais moins émotionné que je partais le soir du 24. La relève fut bien pénible car nous étions chargés comme des mulets six jours de vivre par homme sans compter les munitions et toutes sortes d’engins tout alla bien puisque nous étions passés sous les obus sans avoir un blessé la nuit fut calme et cependant je me trouvais mal à mon aise car malgré une nuit très sombre je sentais avoir un triste spectacle sous les yeux je m’en suis rendu compte au point du jour non pas de peur mais d’horreur je priai donc une partie de la journée et je me senti plus fort et moins seul quelque chose me donnait confiance sur le soir me sentant mal à l’estomac j’essayai de manger mais impossible rien ne voulait descendre j’attendi alors tout en assurant mon service la nuit fut très calme j’en étais ravi pensant que cela continuerais erreur complète car le lendemain le roulement commencait te souviens tu ma chérie comme nous l’entendions depuis notre petit logement et j’étais blotti dans mon trou d’obus exposé à une pluie de mitraille sous un ciel en feu pensant que ma petite femme peut-être entendait ce bombardement sans savoir que son petit chéri était là en danger de mort que je croyais moi-même être certaine ce bruit formidable devait durer ainsi plusieurs jours et toujours pas d’appétit mais une soif de lionne mais mes provisions s’épuisaient car je n’avais emporter que trois litres d’eau et il faisait une chaleur torride il fallut alors penser de se ravitailler en liquide comment faire c’était si dangereux d’aller à l’arrière que personne ne voulait si hasarder enfin le soir du quatrième jour des hommes rencontrèrent des trous d’obus remplit d’eau nous étions sauvés mais quelle eau hélas couleur café au lait ou frétillaient quantité de petit vers et qui empoisonnait le cadavre car il faut que je te dise qu’ils ne manquait pas dans cette contrée il fallait coûte que coûte faire fortune contre bon cœur tout alla ainsi pendant cinq jours mais je devais voir pis encore on me change de place pour appuyer sur la droite là on me confie la garde d’un barrage avec ma ½ section car à ce moment six de mes collègues étaient déjà disparu j’y étais depuis une demie heure à peine que j’eu la visite des boches ils furent reçu à merveille mais ils devaient revenir bien des fois encore sans perdre courage et chaque fois ils furent fauchés comme des blés enfin le trois je faisais un prisonnier avec un de mes hommes ce qui me valut de chaleureuses félicitations de notre Cdt celui que j’appelais notre démon je ne l’avais pas apprécié à sa juste valeur malheureusement il nous quitte. Bien d’autres choses encore se sont passées ma chérie mais je resterai muet à leur sujet donc en résumé je dois t’avouer avoir souffert ; de l’intensité du bombardement car c’est voir la mort de trop près, de la faim puisque j’avais des vivres pour six jours et que je dû en faire onze, de la soif étant réduit à boire de l’eau cadavérique, du tabac que je n’ai plus depuis huit jours c’est si horrible un pareil spectacle que c’est au-dessus de toutes imagination je me demande comment il est possible d’en sortir.

Georges Renaud, Lundi 7 heures du matin le 7 août 1916
Georges dans les tranchées
Georges dans les tranchées

Mon repos continue de s’écouler bien paisiblement dans un charmant village de la Hte-Marne les gens y sont très aimables je t’assure ma chérie qu’il y a une différence avec ceux de la Meuse mais nous sommes si nombreux que ce n’est pas facile de trouver tout ce que l’on voudrait pas de lait j’en aurais pourtant bien besoin car j’ai l’estomac tout détraqué par la suite de tant de privations je mange quelques oeufs que je paie deux francs soixante la douzaine pour le reste nous pourrons facilement le faire revenir de St Dizier.
J’ai vu hier après midi à peu près tous mes camarades ils sont en parfaite santé je devais même les revoir après la soupe mais le notaire du Creusot m’a conduit faire de la musique chez une vieille demoiselle qui a mit son piano à notre disposition nous allons même je crois organisé une petite harmonie pour la messe de dimanche et celle du 15 Août.
Le temps est aujourd’hui très sombre on craint même la pluie aussi la femme chez qui je suis logé à enroler toute ma section pour rentrer son blé elle finira ce soir.

Georges Renaud, Vendredi 1 heures soir le 11 Août 1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

Malgré l’heure matinale je suis déjà sur le bord du ruisseau avec toute ma ½ section en corvée de lavage qui consiste à laver toutes les doublures même celle du pantalon comme les hommes n’en possède qu’un ils seront condamnés à attendre qu’ils soient sec avant de s’habiller la chose n’est pas banale mais le tableau est plutôt comique car ceci se passe dans une petite prairie à proximité d’un moulin qui lui se trouve à la sortie du village si par malheur quelques jeunes filles s’égarent par ici je ne répondrai certainement pas de mes hommes car il y en a parmi eux de bien polisson puis sur la droite passe une ligne de chemin de fer qui domine au moins de vingt mètres notre lavoir improvisé juge la surprise des voyageurs et les colibets lancés par mes poilus.
Oui ma chérie j’ai bien souffert ma dernière période de ligne j’ai souffert moralement et physiquement mais surtout moralement car vû l’intensité des projectiles qui tombaient autour de moi je ne voyais aucune possibilité de pouvoir m’en sauver seule la prière me donnait du courage mais quand même je souffrais tant que bien souvent j’envisageais la mort comme une libératrice de tant de souffrances et je l’aurai supportée avec joie mieux volontiers j’aurais demandé à Dieu de mourir aujourd’hui il n’en est pas ainsi je le remercie de m’avoir gardé la vie et je le prie qu’il en soit ainsi jusqu’à la fin. La dépression morale était telle que fatalement elle agissait sur le physique puis manger très peu dormir jamais c’est dans un grand état de faiblesse que je suis descendu enfin puisque tout cela est passé déjà je ni pense plus je crois simplement avoir fais un mauvais rêve et je retournerai ou je voudrai mais je suis persuadé que ce ne sera pas plus mauvais.
Tu me demande ma chérie j’ai bien pû faire un prisonnier c’est bien simple et je ne le considère pas comme un fait d’armes extraordinaire. J’étais attaqué le matin il ne faisait pas encore clair tous mes hommes à leur poste attendant l’adversaire bien supérieur en nombre un moment je me suis vû perdu ou du moins prisonnier non jamais je préfère la mort envisageant la situation en un clin d’oeil je redouble d’effort malheureusement j’avais quelques blessés peu importe je conserve mon sang froid et j’empêche l’ennemi d’avancer même l’obliger à reculer quelques-uns plus hardis nous tiennent tête le jour blanchissait je voyais ce grand bandit au moins 1m 85 à une quinzaine de mètres cherchant toujours à avancer mon camarade et moi nous le couchons en joue c’était pour lui une mort certaine il le comprit d’un bon il était chez nous le tout n’ayant demandé que quelques secondes. Vois-tu que ce qui te parraît extraordinaire est cependant bien simple.
J’ai consulté hier le major au sujet de mon estomac il parraît que c’est l’effet des gazs dont nous avons eû à souffrir pendant plusieurs jours un peu de repos et cela disparraîtra.

Georges Renaud, Samedi 6 heures du matin le 12 août 1916

Tu me demande mon amour si nous avons été bien éprouvés oui sans doute c’était fatal dans un enfer pareille j’avais même pensé que tu le devinerais ainsi pour ma compagnie quatre vingt dix manquaient environ la moitié mais heureusement beaucoup de blessés et certains assez légèrement quelques-uns sont déjà rentrés mais ce n’est pas la moyenne car ma compagnie est une de celle qui a le plus souffert.
Je pensais en effet faire comme tu me l’écris grande fête au vin pas du tout j’ai l’estomac trop malade je bois à peine celui que je touche à l’ordinaire et encore faut-il que je mette beaucoup d’eau dedans la bière même ne digère pas en plus je ne puis pas manger et j’ai cependant faim mais sitôt le repas il me semble que je vais étouffer la nuit je dois vomir plusieurs fois ce qui me fatigue beaucoup. Ces maudits gazs vois-tu mon amour m’ont bien détraqué l’estomac je me demande si cela durera longtemps encore.
Il n’y a pas eû de promenade mais on vient de prescrire bains douches pour 3 heures non impossible d’être tranquille.

Georges Renaud, Dimanche 2 heures le 13 août 1916

[…] vois-tu ici je n’ai pas besoin de grand-chose puisque j’ai la popote à ma disposition elle marche cette fois très bien mais n’a qu’un défaut coûte un peu cher ce qui est forcé vû le prix de toutes les marchandises mais on a tant souffert que l’on est bien heureux quand même de pouvoir faire bonne chair pendant quelques jours. Une chose encore cependant m’aurais fait bien plaisir c’est du lait à discrétion mais impossible d’en trouver même un litre le peu qu’il y a est retenu pour les officiers mon estomac en réclame à grands cris rien à faire pour lui donner satisfaction.
J’ai enfin reçu une petite lettre de Eugène […] Il ne me raconte pas grand-chose il n’est plus chez le même patron sa plus grande distraction est de chasser le sanglier son huitième est abattu de ces temps derniers puis il se réjouit pour les bonnes parties de pêche que nous pourrons organiser à notre retour arrosées dit-il de bonnes bouteilles hélas dit-il la vérité.

Georges Renaud, Lundi 7 heures du matin le 14 Août 1916 27e d’Inft, 11ème compagnie, Secteur 53

J’ai reçu hier ton aimable lettre du 12 elle me fit je t’assure bien plaisir car je me trouvais justement tout triste mais après cette lecture ce fut bien dissipé. Je suis en effet toujours dans mon village on y trouve à peu près tout ce dont nous avons besoin mais c’est excessivement cher heureusement je n’ai pas grand-chose à acheter directement puisque nous faisons popote c’est bien agréable de manger tous ensemble et c’est bien meilleur que de vivre à l’ordinaire mais combien l’argent coule vite en comparaison de l’année dernière enfin quand je ne pourrai plus je n’aurai qu’une chose à faire de me retirer car à l’impossible nul n’est tenu je suis persuadé que mes camarades n’y verront aucun inconvénient.
Tu insistes mon amour pour que je te marque le nom du village où je suis pour le moment tu sais cependant combien c’est pénible pour moi tant je risque de me faire punir c’est que vois-tu la prison ou bien la cassation ne me charment pas le moins du monde donc si je suis pris ce sera de ta faute. Ce village se nomme Chancenay tu connais je crois le département Hte Marne.

Georges Renaud, Mardi 8 heures du matin le 15 août 1916

Popotte

Je t’avais parlé dans ma dernière lettre que je connaissais l’arrivée de ces dames sachant que Clave ne devait embarquer que le soir j’ai bien vite fait de tirer mes plans mon service terminer vers deux heures de l’après-midi je résolu de me rendre près d’eux j’avais trois kilomètres à faire et il me semble avoir eù des ailes tant j’avais hâte de les voir. Je me renseigne du logement de Clave et j’entre sur la porte Mme Vachet qui allait à vêpres juge de la surprise pauvre femme elle qui n’avait pas encore vût son fils je lui demande donc bien vite des nouvelles elle me raconte alors comment toi aussi tu devais venir mais ne pût me dire pourquoi tu n’étais pas présente à l’heure du train j’avais à ce moment le cœur bien gros aussi je la quitte vite pour rentrer vers Clave et pouvoir cacher mon émotion.
Je dû forcément assister à leur séparation qui fut ma chérie bien pénible je t’assure les voyant pleurer je ne pû retenir plus longtemps mais larmes car je pensais que moi aussi à pareille heure j’aurais pû mes amours vous presser sur mon cœur certes après une telle période ce fut un fameux réconfort et malgré mon désespoir j’étais heureux dans le fond que tu n’es pas accompli ce voyage coûteux et pénible pour n’avoir ma chérie que la joie de vivre ensemble une seule journée.

Georges Renaud, Vendredi 10 heures le 18 Août 1916

Je t’ai bien parlé tout à l’heure ce qu’avait fait Dufour pour nous mais j’ai oublié de te dire combien il m’avait plaisanté au sujet de l’inquiétude que je vous ai causé pendant mon séjour à V.. parlant sérieusement au début il m’expliqua ce que Henri était navré en partant de ne pas avoir de mes nouvelles (je lui ai écris j’attend sa réponse) puis arrivant à la plaisanterie il parvint à me dire qu’un jour ne recevant plus de lettre tu étais allée chez lui acheter du voile de deuil crois tu ma chérie que vraiment il est chineur mais il s’exprime si bien que n’importe qui ne saurait mieux faire que de sourire ce que je fit malgré ma tristesse.
Tout à l’heure je t’ai promis de te raconter mon voyage je vais m’en acquitter de mon mieux. Réveil le lendemain matin que j’avais vu Clave à 1 heure ½ je fus bien vite éveillé puisque je n’avais pas dormi mais je n’avais rien préparé il fallut donc monter mon sac départ 2 heures il y avait une quinzaine de kilomètres à faire à pied jamais je n’avais je crois trouver mon sac si lourd arrivé au quai nous ne devions embarquer qu’à 9 heures donc pose la nous avons mangés un peu car l’appétit commençait d’être bien ouvert. L’embarquement fut vite fait et à dix heures départ mais chose stupide c’est que nous sommes venus passés presque à l’endroit d’où nous étions partis il est vrai que c’est bien notre habitude. Le voyage c’est effectué dans de bonnes conditions pas trop chaud attendu que la pluie tombait à torrent assis au fond de mon wagon à bestiaux je ne la craignais pas je pouvais même la porte en étant ouverte jouir du coup d’œil pendant tout le parcourt. Cette position devenait malgré tout très fatigante quand vers six heures ½ (mes lettres viennent d’arriver) arrivant enfin dans une gare je pensais y descendre pas du tout je dû revenir en arrière d’au moins huit kilomètres pour finalement revenir ou je me trouvais à 6h½ mais alors à pieds ceci était trop fort je ne pouvais le digérer surtout dans les conditions dont nous avons dû parcourir la route descendant du train à 9 heures rien ne laissait prévoir l’orage nous faisons donc la pause à proximité de la gare nous souciant peu de la route mal nous en prit car une heure à peine après les éclairs nous brûlaient les yeux et le tonnerre faisait rage vite en route cria le Commandant mais trop tard hélas car pendant deux heures hélas nous devions recevoir une pluie torrentielle sur le dos résultat trempé de sueur trempé d’eau arrivé au cantonnement rien pour se changer et ce qui nous mettait le plus furieux c’est que si nous avions descendu au pays plutôt que de revenir en arrière nous n’aurions pas été mouillés. Voilà pour mon voyage il n’a pas été très agréable. J’atterissais donc avant hier soir à minuit dans un patelain où on ne trouve pas grand-chose et le comble c’est que nous ne touchons rien du ravitaillement aussi la popote coûte fort cher nous vivons actuellement chez le chef de gare gens charmants qui nous ont donnés cuisine et salle à manger pour nous servir.

Georges Renaud, Vendredi 1 heures du soir le 18 Août 1916

J’étais si ennuyé hier que je n’ai pas eu le courage de t’écrire et je n’y suis pas moins aujourd’hui c’est que j’ai une petite histoire à te raconter et je crains que tu n’en crois pas un mot tant la chose est stupide pourtant je ne te dirai que la vérité et textuellement comme cela s’est passé je n’ai d’ailleurs pas pour habitude de te mentir je le ferai donc encore moins pour cette affaire car je te le répète j’en suis bien assez ennuyé.
Le 20 courant je venais vers trois heures de l’après-midi de toucher mon courrier qui ce jour là était très fort j’avais pas mal d’argent et plusieurs lettre recommandées ma distribution faite je solde mes mandats et je fais signer mes lettres une seule me restait pour un caporal qui était parti à l’exercice de grenadiers et ne devait rentré que plutard dans la soirée je devais donc attendre pour lui remettre cette malheureuse lettre mais comme j’étais malade et qu’à chaque instant je devais courir à la feuillée je me précipite me débarrasser de mon cahier que j’enferme dans ma musette mais sans penser à la lettre en revenant la compagnie était rassemblée pour le rapport je me présente sans m’inquiéter de rien à 4 heures ½ j’étais libre et je m’acheminais vers ma grange bien péniblement tant je souffrais de colique quand je m’entends appelé c’était le caporal en question je ne le fais donc remonté avec moi pour lui remettre son bien quand ma chérie juge de ma stupéfaction en ouvrant mon cahier de lettre il n’y en avait plus je ne pouvais en croire mes yeux où était elle je crû tout d’abord l’avoir perdue je demande questionne rien personne n’avais rien vu je cherche à nouveau dans mon cahier toujours rien mais je pû me rendre compte que je ne l’avais pas perdu car j’avais laissé avec ta lettre que j’avais reçue en même temps il n’était donc possible que l’une tombe et que l’autre reste j’avais été purement et simplement volé mais par qui je fis à nouveau rassembler la compagnie trop tard hélas quelques homme manquaient et le coup était fait leur interrogatoire n’aboutit à rien pas plus que les recherches. Tu me demanderas pourquoi je laissais cette lettre dans mon cahier je n’en sais rien surtout que j’ai pour habitude de les placer dans mon portefeuille ce sera sans doute dans ma précipitation. Le plus embêtant c’est qu’il me faut remboursser l’argent c’est-à-dire vingt francs comment faire je ne les ai pas je crois donc ma chérie qu’il faudra que tu vienne à mon secours. Crois-tu mon amour que l’histoire est banale en tout cas nous servira de leçons.
Enfin pour finir pas toujours ma chérie de mauvaise nouvelle. Hier après-midi au rapport toujours j’entendais lire ma citation au régiment pendant que le Cdt de compagnie m’accrochait l’insigne de la croix de guerre en attendant la croix. Je connaissais cette citation depuis étant encore sous les obus mais je ne voulais pas t’en parler avant d’être certain.

Georges Renaud, Mardi 7 heures du matin le 22 Aout 1916
Sauf-conduit
Sauf-conduit

La journée d’hier fut pour moi bien pénible départ à midi c’est-à-dire au plus fort de la chaleur marche constamment sur une grande route très poussiéreuse en raison de la quantité d’autos qui circulent je ne devais arrivé que vers six heures du soir après avoir parcouru environ vingt cinq kilomètres il était temps étant toujours souffrant je dirais même malade à ce moment-là je n’aurais pas pu marcher pendant une heure encore donc sitôt dans ma grange je jetais le sac d’un côté les musettes de l’autre et je me laisse tomber sur la paille pour n’en sortir que ce matin à cinq heures. On m’apporte mes lettres à neuf heures mais je ne pû faire la distribution il me fallut recommander le sac à un de mes collègue qui se fit un plaisir de me remplacer me voyant si fatigué.
D’après ce que je viens de te raconter tu pourrais supposer ma chérie que j’ai passé une bonne nuit pas du tout car elle fut à peu près complète sans sommeil c’est pourquoi j’étais levé si bonne heure ce matin il faisait très frais j’allai me promener et chemin faisant sais tu ce que j’ai rencontré des douches qui fonctionnaient revenant chercher du linge propre je pris une douche au moins d’un quart d’heure j’en ressenti un réel bien-être à un tel point que je ne me sens même plus malade et à l’heure où je t’écris je t’assure mon amour qu’à ce sujet je suis au comble de ma joie j’ai tant souffert depuis que je suis sorti de V.. qu’il me semble vivre une toute autre vie.
Je n’ai toujours pas de nouvelles de ma lettre j’avais avancé 20 francs sur un mandat de 60 il y a 5 ou 6 jours je viens d’en être rembourser immédiatement je les ai moi-même versé au caporal à qui appartenait la lettre si bien que je me trouve sans argent ou presque je viens en conséquence de prévenir mes camarades que je me voyais contraint de quitter la popote tous voulaient m’avancer de l’argent j’ai refusé.

Georges Renaud, Jeudi 8 heures du matin le 24 aout 1916

Sur ma lettre d’hier je te disais avoir quitté la popotte c’était vrai en effet mais à 6 heures tous mes camarades vinrent me chercher me priant de me rendre avec eux je ne voulais pas y consentir leur expliquant que je n’avais pas d’argent tous en cœur me répondirent que c’était par accident et par mauvaise foi d’un soldat que tous se proposaient à m’avancer l’argent de la popote jusqu’à ce que j’en touche c’était très aimable de leur part et quand même je ne voulais rien entendre mais comme la force prime le droit je fus contraint de me rendre à l’évidence. Un charmant souper nous attendait nous sommes maintenant 17 à table chaque repas comme c’était la St Louis à la fin du dîner deux superbes bouquets furent offert un à un Ss Lieutenant nouvellement arrivé et l’autre à un sergent également depuis peu de jours à la Cie le bon vin coula à flots mais je ne me sentais pas à mon aise gêné par le principal il est vrai qu’à ce moment je n’avais rien à débourser mais vint le tour des croix de guerre là j’étais bien stupide et pourtant mon compte fut payé par qui je l’ignore. Vois-tu mon amour combien mes camarades sont gentils pour moi je ne saurai jamais les remercier.
Comme je ne suis toujours pas bien portant je suis allé à la visite ce matin le major me trouve très fatigué il m’ordonne du repos complet et une purge pour demain matin mais il ajoute nous verrons par la suite.

Georges Renaud, Vendredi 8 heures du matin le 25 août 2916

Certainement ma chérie j’aurais été très heureux que tu puisses accomplir le voyage avec toutes ces dames malgré que nous n’aurions été que quelques heures ensemble puis n’étant pas prévenu je ne pouvais pas te fournir d’adresse ce qui d’ailleurs est beaucoup plus difficile pour moi que pour Clave donc de la décision bien prise je crois que le préférable était de manquer ton train les lettres que tu as reçu depuis te prouverons que je parle sans arrière pensée.
J’ai reçu hier ta longue lettre du 16 elle me tranquillise un peu car je remarque que quoique étant navrée de n’avoir pû arriver jusqu’à moi tu te raisonne un peu d’en voir l’inconvénient pour bien dire l’impossibilité c’est que vois-tu je craignais une chose que tu t’embarque sans me prévenir et que tu arrive trop tard c’est-à-dire après mon départ. Non nous ne sommes jamais assez certain de nous pour faire risquer pareille voyage à une chère petite femme.
Je commence d’aller un peu mieux mais ce n’est toujours pas cela si seulement je pouvais me faire évacuer.

Georges Renaud, Dimanche 2 heures le 26-8-1916

Aujourd’hui Il fait un temps très désagréable un vent violent à chaque instant la pluie tombe par bourrasque c’est la suite d’un orage de la nuit par conséquent il ne fait pas bon dehors que faire aller au café ma santé ne me le permet pas mon portemonaie moins encore et bien sais tu qu’ici des gens charitables à ce que je me suis laisser dire on sans doute prévu ce cas alors ils ont installés un foyer du soldat ce n’est pas luxueux et pourtant on y est très bien.
Simple baraquements en planches posé à même sur la terre mais te protégeant de toutes intempéries c’est absolument le même genre que ceux dans lequel nous couchions à B. peut-être même mieux organisé deux rangées de tables avec des bancs de chaque côté et sur ces tables de quoi écrire encre et papier tout cela sans payer. Enfin au fond une petite scène est installée artistiquement pour permettre aux troupes de passage de pouvoir offrir quelques concerts à ses poilus. Mon ami le notaire est entrain de tapoter le piano. Voilà ma chérie ou je suis installé pour t’écrire je voudrais je t’assure être ainsi le reste de la guerre et crois tu que l’idée des donnateurs n’est pas au-dessus de tout éloge l’âme généreuse de ces inconnus pour moi mérite d’être un jour récompensé.

Georges Renaud, Samedi 2 heures le 26 août 1916

Je vais t’expliquer à peu près ce que moi personnellement je dois accomplir chaque jour je prendrai pour cela la journée à midi tu penseras certainement ma chérie que c’est une heure bizare mais vois-tu ce sera beaucoup plus facile pour moi. Je pars donc aux lettres à midi j’ai environ dix kilomètres aller et retour comme il fait un temps épouvantable puisqu’il pleut pour ainsi dire constamment jour et nuit et que le terrain est déjà de son naturel marécageux attendu que c’est un bas-fond donc malgré l’aménagement des tranchées c’est-à-dire des caillebotis placés dans le fond rien n’arrive à nous protéger de l’eau qui afflue comme un torrent. (Caillebotis : Planchettes clouées sur deux traverses et de la largeur de la tranchée et placés dans le fond laissant en dessous un vide permettant à l’eau de s’écouler). De là le terrain détrempé produit des éboulements qu’en résulte-t-il la terre encombre la tranchée et l’eau ne circulant plus est obligée de séjourner sur place ce qui à force de patauger fait un drôle de mélange. Mais peu importe le service doit coûte que coûte être assuré je suis donc obligé pour aller aux lettres de parcourir environ la moitié du chemin sans exagération dans l’eau jusqu’aux genoux il y en avait dans l’ancien secteur mais même pendant l’hiver jamais de telle façon. Je rentre vers six heures ma distribution faite je mange la soupe qui naturellement est froide et à 7 heures je prends le service de quart jusqu’à une heure du matin ceci en raison de la difficulté à assurer le service tant il faut de sous-officiers puis je me repose jusqu’au jus et je dois prendre à nouveau deux ou quatre heures cela dépend des jours. Je crois que ma journée est bien employée mais du repos il n’y en a pas beaucoup il est vrai que pour tous c’est la même chose enfin si seulement il faisait beau ce ne serait qu’un demi mal mais le temps continue à être mauvais.

Georges Renaud, Jeudi 8 heures du matin le 31 août 1916